L’objectif étant d’arrêter la saignée, après un constat qui fait état d’un fort taux d’émigration des agents de santé ivoiriens vers le Canada. Le ministre de la Santé, Pierre Dimba, a récemment exigé la liste des professionnels de santé en situation d’immigrés. Dans sa note du 16 février 2023, le ministre indique que « l’attention de ses services a été attirée par une forte émigration des agents de santé ivoiriens vers les pays du Nord, notamment le Canada ». Face à une telle situation qui, dit-il, « accentue la pression sur le pilier ressources humaines souffrant déjà d'une pénurie structurelle en professionnels de santé », Pierre Dimba a demandé que lui soit communiquée, « dans les meilleurs délais et au plus tard le 28 février 2023, la liste des agents se trouvant dans une situation d'immigré ».
Une pénurie de professionnels de santé
Le ministre de la Santé a, par ailleurs, annoncé des mesures idoines en vue d’assurer « la fidélisation des professionnels de santé et de garantir la résilience du système de santé par le maintien des compétences». Hormis les professionnels du secteur de la santé, il faut souligner que les intentions d’émigrer, au sein de la population ivoirienne, sont relativement élevées. 32 % d’Ivoiriens, en effet, souhaitent quitter leur pays pour vivre de façon permanente, à l’étranger, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et cette envie est d’ailleurs particulièrement élevée chez les fonctionnaires de façon générale. Pour Boko Kouaho, porte-parole de la Coordination des syndicats de la Santé (Coordisanté), « le phénomène existe il y a longtemps. Les autorités sont au courant. Je cumule un peu plus de 30 ans de service, j’ai des promotionnaires qui sont partis. J’aurais pu les suivre également. Les plateformes Accès Canada fonctionnent librement en Côte d’Ivoire au vu et au su des autorités. Ce n’est donc pas une nouveauté », tient-il à rappeler. Et d’ajouter : « les plus nombreux, dans ce flux, ce sont les fonctionnaires, dont les agents de santé et aussi les enseignants. C’est plus facile pour les infirmiers une fois là-bas. Même en Europe, les gens émigrent au Canada pour un mieux-être ».
À la recherche d’un mieux-être
Boko Kouaho dit ne pas comprendre cet acharnement sur les agents des services de santé. « C’est normal de faire le point des effectifs et d’en tirer une conclusion. Mais à la vérité, les gens vont chercher ce qu’ils n’ont pas ici. C’est ce qui est naturel. Quand on parle de la réforme hospitalière qui traine depuis 2013, c’est de cela qu’il s’agit. Si on met les agents dans les conditions idoines de travail et de vie, personne n’ira nulle part, à la recherche d’un mieux-être. Le gouvernement a les moyens de faire cesser ce phénomène, en prenant des mesures qui vont dans l’amélioration des conditions de travail des fonctionnaires », exhorte-t-il le gouvernement. À en croire les chiffres, depuis 2015, entre 10.000 et 15.000 Ivoiriens émigrent chaque année vers les pays de l’OCDE, avec des flux d’émigration de plus en plus dirigés vers l’Amérique du Nord. Une part relativement importante de personnes, souhaite en effet, quitter le pays pour s’installer aux États-Unis ou au Canada. Sur la période 2013-2018, les destinations préférées des Ivoiriens exprimant le désir d’émigrer étaient la France (22 %), les États-Unis (20 %) et le Canada (12 %).
Mais pourquoi le Canada ?
Actuellement, au Québec et au Canada, les politiques d’émigration visent à attirer « les meilleurs et les plus brillants » et les médecins font partie de cette élite transnationale. Le pays fait massivement appel à une main-d'œuvre qualifiée venant d’Afrique pour faire fonctionner son système de santé devenu défaillant au fil des ans. Avec une population vieillissante, ce pays d’Amérique du Nord compte 2,7 médecins praticiens pour 1000 personnes. Pour répondre aux besoins du Ministère de la Santé et des Services Sociaux du Québec (MSSS) de combler un manque de médecins francophones en région sous-desservie, des bureaux d’immigration au Canada présents dans des pays africains comme la Côte d’Ivoire, priorisent les demandes de permis de travail de résidents temporaires pour les travailleurs essentiels dans le secteur des soins de santé. Le 23 septembre dernier, le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, a annoncé une série de mesures pour qu’il soit plus facile pour les médecins étrangers de demeurer au Canada, afin de renforcer le système de soins de santé canadien. Au cours de l’année 2022, le gouvernement canadien a accepté plus de 8 600 demandes de résidence temporaire et permanente de la part d’étrangers ayant l’intention de travailler dans le secteur de la santé. En 2021, il a approuvé des demandes de permis de travail et de prolongation de permis pour plus de 2 500 médecins spécialisés, 620 infirmières et 550 aides-soignantes.
Manuel Zako