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Reportage /Mendicité: Dans la galère des enfants talibés de Ferké   

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Ils font désormais partie du paysage urbain. À Ferkessédougou, entre deux cours, les enfants de l’école coranique ou Talibés, écument chaque jour, les rues à la recherche de la pitance quotidienne. Si certains habitants les voient comme des mendiants, d’autres considèrent qu’ils sont à l’école de la rue. Reportage.

Ouangolodougou, Ferkessédougou, Niélé, Kong, Diawala…, on les trouve partout au Nord de la Côte d’Ivoire, avec les mêmes manières. On les appelle communément talibés ou encore ‘’garibous’’, c’est selon. Âgés de 8 à 14 ans environ, vêtus de guenilles et portant en bandoulière des boîtes de fortune, ces mômes vagabondent dans les rues, en quête du pain quotidien. Comme dans toutes ces villes où ils font désormais partie du décor, Ferkessédougou, à plus de 600 kilomètres d’Abidjan, semble s’être accommodée également de leur présence dans les rues. Ces gamins ont réussi à transformer les ruelles de cette charmante commune en un gigantesque terrain de jeu, et bien plus. La capitale du Tchologo, ainsi que ses habitants, sont surtout le gagne-pain de ces gosses qui passent le clair de leur journée à faire la manche, pour se remplir la panse. Il est 9h, ce jeudi 10 novembre 2022, la ville de Ferkessédougou est particulièrement mouvementée sous un soleil de plomb. 

Un gain de 500 FCFA par jour

Le ministre de la Promotion de la jeunesse, de l'insertion professionnelle et du service civique, Mamadou Touré, est présent avec une forte délégation. Il conduit la mission conjointe avec les partenaires techniques et financiers pour faire l’évaluation des initiatives du gouvernement en faveur des populations jeunes du Nord. Une journée plutôt juteuse pour ces mioches, mendiants, qui n’en demandaient pas tant. Par petits groupes de 5 ou 6, issus des mêmes écoles sous la conduite du maître coranique, ils marchent ensemble. Dans le marché, aux abords des restaurants de la cité et autres lieux publics, ils sont à l’affût des potentiels donateurs.  Beignets, restes de plat de riz, restes d’attiéké-poisson ou de viande braisée, boisson…, les talibés ne refusent rien du tout. Mais, ce qu’ils apprécient le plus, ce sont les personnes qui leur lancent quelques pièces d’argent au passage. Ce matin, le kiosque à café, en face du commissariat de police de Ferké, au quartier Zindel, refuse du monde. Abou (14 ans) et ses camarades qui rodent, sont tenus de rester à distance. Pour les tenanciers, il n’est pas question d’importuner les clients qui déjeunent. Au milieu de ses amis, Abou est le seul qui peut aligner deux mots dans un français approximatif. Selon lui, à la fin de chaque journée, chacun peut se retrouver avec environ 500 Fcfa, sans compter les dons en nature.

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Il faut dire que ces enfants talibés obéissent à un programme assez structuré. À en croire Chahibou, enfant talibé de 13 ans, la matinée est réservée aux tâches ménagères, aux cours et autres lectures coraniques. Chaque jour, le réveil est fixé à 4h du matin. De cette heure jusqu’à 6h, les gosses récitent les versets coraniques, couchés sur des tablettes de bois. Après, vient l’heure des tâches ménagères, ce, jusqu’à 9h.  De 9h à 17h, cette période est réservée à l’aumône dans les rues. Le soir, c’est la lecture coranique encore, avant de dormir. Quand ils sortent le matin, il y a un quota qui leur est exigé par le maître, selon certaines sources. Le soir, celui-ci fait le point avec chacun d’eux. C’est cette somme, rassemblée par le maître, qui devrait normalement servir à leur nourriture et autres besoins.

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Dans la ville, leur présence est diversement appréciée. « Quand vous ne faites pas attention, ils arrivent des fois où ils volent des vêtements mis à sécher. Mais dans le fond, ils ne sont pas bien dangereux, je pense qu’il y a toujours des mauvais grains dans un groupe. Aujourd’hui, ils font partie de la ville », juge Silué Justin. Derrière cette activité qui permet à ces enfants de satisfaire le besoin primaire, celui de se nourrir, certains habitants pointent une autre problématique, celle des maîtres coraniques, qui exploitent ces « innocents » faisant d’eux, des « esclaves des temps modernes ».

‘’Esclavage’’ ou pratique religieuse ?

Pour eux, les talibés constituent un fonds de commerce pour ces maîtres coraniques, d’autant plus que dans cette gymnastique du donner et du recevoir, ce sont les maîtres qui se sucrent sur le dos de ces bambins. Enfants en bas âge pour la majorité, ils seraient exposés à de nombreux dangers. Pratique religieuse ou instinct de survie, la mendicité des ‘’garibous’’ a pris, en tout cas, une tournure qui ne laisse personne indifférent. « Je pense qu’on ne devrait pas pousser ces enfants à mendier de cette façon. La place des enfants, ce n’est pas dans la rue, mais à l’école, dans les écoles confessionnelles », déplore Ouattara Wanlo, secrétaire de l’Association des muézins du Tchologo. À l’en croire, « ce sont des enfants peuhls qui viennent généralement des pays voisins. L’Islam est contre ces pratiques. Il faut pouvoir faire la différence entre les nécessiteux et ceux-là. Leurs parents, pour la plupart, possèdent des biens, ont donc les moyens de s’en occuper pleinement. Mais, ils viennent les abandonner chez le maître coranique, pour je ne sais quelles raisons. Ce dernier, à son tour, les envoie faire la manche dans les rues ». Malheureusement, regrette Ouattara Wanlo, « certains parmi ces enfants deviennent des bandits plus tard. Même à cet âge, il faut faire attention, car ils peuvent vous dérober des choses.

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En son temps, l’ancien maire avait entamé une action pour leur interdire les rues, mais ça n’a pas abouti ». Et d’ajouter : « quand vous êtes dans un restaurant, dans les rues, ou assis dans un endroit, ils viennent souvent vous importuner. C’est très gênant. Si vous oubliez quelque chose, ils vont tout de suite le récupérer. Dans les restaurants, dès que vous vous levez un instant, pour faire quelque chose, ils sautent sur votre plat », se plaint-il. Il faut dire que ces gamins arrivent en Côte d’Ivoire, depuis les pays voisins, notamment le Burkina Faso et le Mali, par vagues. Des Ivoiriens également envoient leurs enfants dans ce qu’ils appellent l’école de la rue. GK est agent des Forces de l’ordre, en service à Ferké depuis plus d’une dizaine d’années. On peut dire qu’il a pris le temps d’observer.

L’école de la rue ? 

Selon lui, « ils viennent chez le maître coranique pour apprendre l’école de la rue. L’enfant vient chercher le savoir à travers l’école de la rue ». Certains, nous apprend-il, « sont issus de familles riches. Mais quand le parent juge que son enfant verse dans la facilité ou que l’enfant est très turbulent, il est transféré chez le maître coranique pour une rééducation complète. Lorsque l’enfant retourne à la maison, il devient plus sage et est prêt à assumer certaines responsabilités ». À ce sujet, GK est formel : « On n’a jamais reçu de plainte ici à leur encontre. Je n’ai jamais entendu dire qu’ils étaient impliqués dans des actes répréhensibles. Une année, la Première dame, Dominique Ouattara, avait donné les instructions pour les envoyer dans un orphelinat à Ferké. N’étant pas habitués à ces conditions, ils ont déserté les lieux pour revenir dans les rues. Je pense qu’ils ont fini par aimer cette vie. C’est plus profond qu’on ne l’imagine ».   

Manuel Zako, envoyé spécial à Ferké

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