Face à la recrudescence de ce phénomène, Fona Konaté, Sociologue-Analyste sur le genre, formateur en gouvernance associative et leadership civique, explique dans cette interview, les raisons qui pourraient expliquer cette situation et propose des solutions.
De septembre 2021 à mai 2022, 3409 cas de grossesses en milieu scolaire ont été signalés. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cette recrudescence ?
Les fluctuations avec une tendance à la hausse des grossesses en milieu scolaire, pourraient s’expliquer par une batterie de facteurs aux confluents les uns des autres. Avant tout, il faut comprendre que ce phénomène intervient dans un contexte général caractérisé par des tendances de mimétisme « faire comme les autres), de ‘’Make up social’’ « faire la star, le m’as-tu vu, se cacher derrière son vécu réel et donner l’impression que celui ou celle qu’on n’est pas », de gain facile (réussir sans le moindre effort). S’ajoute à ce tableau, une propension accrue de banalisation de l’activité sexuelle en tant qu’activité socialement normée et responsable du fait des contenus incontrôlés des réseaux sociaux, des télé Novelas, et de nouvelles sonorités urbaines dans lesquelles on peut entendre par moments, des expressions très connotées sexuellement. A partir de là, on note une initiation précoce à la sexualité chez les jeunes, les pratiques d’arrangements appelées MST ou NST (moyenne ou note sexuellement transmissibles), mais aussi d’harcèlement entre élèves, entre élèves et le personnel d’encadrement, et entre élèves et les faiseurs de métiers proches de l’environnement éducatif. La fragilisation et par moments, la quasi inexistence d’institutions sociales en charge de l’éducation sexuelle des adolescents, affectent la communication sur la sexualité avec ceux-ci. Cela débouche sur l’ignorance des caractères sexuels secondaires, l’incapacité des filles à négocier le consentement ou l’adoption de méthode de contraception. Elles sont exposées à une auto-éducation qui devient une source de vulnérabilité lorsque certains besoins qu’elles éprouvent ne peut être couverts par les parents (logement, soins cosmétiques, téléphone, transport, restauration, etc.).
Les régions les plus touchées sont la Nawa avec 374 cas, le Haut Sassandra 296 cas, le Guémon, 220 cas, l’Agneby-Tiassa, 200 cas et 166 cas dans la région le Sud-Comoé pris isolément. Pouvez-vous nous donner une explication logique ?
Dans ces régions, la plupart des établissements sont mixtes, de nombreuses filles sont issues de familles modestes, vivent chez des tuteurs ou des parents dont les activités ne permettent pas un meilleur suivi scolaire des enfants. En plus, l’effet de mode ou de concurrence qui se crée par moments, entre ces filles, expose les plus ignorantes et celles qui ont une condition socio-économique précaire, à des risques de grossesse.
Pour le CNDH, les grossesses en milieu scolaire constituent l’un des principaux obstacles à la poursuite de la scolarité de la jeune fille. Qu’en pensez-vous ?
Bien-sûr, c’est pertinent comme obstacle, d’autant que les grossesses augmentent la vulnérabilité de la jeune fille exposée au risque d’abandon de l’école pour assurer la maternité, voire la garde de l’enfant, l’incapacité à disposer des ressources financières suffisantes à la couverture de la scolarité et les charges du bébé. Il y a la stigmatisation qui en découle, car nous sommes dans des contextes culturels où les « filles-mères » sont mal vues. Une autre situation induite par ces grossesses, c’est le plus souvent, une crise de responsabilité et de solidarité au sein des familles. Personne ne veut s’engager à accompagner ou à soutenir la concernée. Les parents se jetant mutuellement la responsabilité, cela peut aboutir à une exclusion de la fille du domicile familial ou un arrêt de scolarisation.
Pourquoi selon vous, les campagnes contre ce phénomène, ne produisent pas l’effet escompté ?
Les campagnes produisent un effet résiduel du fait d’une approche que je trouve policière, occasionnelle et moins axée sur l’environnement scolaire dans lequel évoluent les filles, ainsi que les méthodes de contraception mises en avant dans la lutte contre les grossesses. Autrement dit, vous verrez que les messages de sensibilisation sont donnés par des autorités du système éducatif dans un langage parfois intimidant et dirigiste. Ce qui ne permet pas aux apprenants de comprendre les enjeux et le bénéfice de s’engager dans la lutte contre ce phénomène. Même lorsqu’on diffuse des messages de sensibilisation à la télévision, c’est rarement à des heures de forte audience où les concernés (filles et garçons) sont devant le petit écran. Aujourd’hui, la question des méthodes contraceptives fait partie du langage de sensibilisation. Mais, reste à savoir qui sensibiliser et sur quelles méthodes sensibilise-t-on ? Parce que plutôt que de les dissuader, selon qu’on encourage l’abstinence ou le préservatif, il est clair que le résultat sera différent. En plus, les campagnes ne sont pas effectives et constantes dans les régions de l’intérieur du pays. Pourtant, c’est dans ces localités qu’il y a plus d’établissements à forte mixité. Ce sont également des zones où les élèves parcourent de longues distances ou sont dans des localités d’accueil ainsi que dans les établissements laïcs. Contrairement aux écoles confessionnelles qui semblent avoir un meilleur contrôle de la vie sociale des apprenants au-delà la dispensation des curricula de formation. On y observe d’ailleurs un taux plus faible des grossesses.
Une étude récente menée par le prof. Akindès a démontré que les auteurs de ces grossesses sont le plus souvent les jeunes hommes de la même génération et qui effectuent souvent des petits métiers … Etes-vous d’accord avec ce constat ?
J’ai lu cette étude de grande qualité et effectivement, on se rend compte que les principaux auteurs des grossesses sont des élèves ou les hommes de petits métiers qui peuvent subvenir à quelques petits besoins. Une sorte de dépannage occasionnel qui s’entretient et s’obtient aussi par des rapports sexuels à haut risque avec les filles.
L’on explique souvent ces grossesses par l’abandon des parents. Pensez-vous que cette assertion est justifiée ?
Dans des cas, on peut constater effectivement l’abandon des parents, que ce soit dans des contextes de monoparentalité, de familles recomposées ou familles économiquement faibles. Mais, pour moi, l’abandon en matière d’éducation sexuelle peut se lire à travers l’accès non contrôlé aux médias, l’accessoirisation précoce des enfants (le fait de mettre à disposition trop vite certaines commodités : vêtements, téléphones de marques, véhicules, etc.), l’incitation par certains parents des filles à faire comme les autres ou simplement le manque de communication autour des différentes étapes de croissance de l’enfant.
La majorité de la jeunesse ivoirienne, on le constate sur les réseaux, s’adonne à la consommation des stupéfiants, notamment la drogue et l’alcool. Ceci ne pourrait pas expliquer cela ?
Effectivement, il faut savoir que les réseaux sociaux ont changé les façons de penser et d’agir. Ils se sont mués en de véritables arènes de socialisation avec une forte incidence sur les adolescents et les jeunes. Les modèles à suivre ou les modèles de réussite ne sont plus les mêmes. De plus en plus, se développent dans nos écoles, des phénomènes de « tontines sexuelles » et tout ceci, loin du regard des parents et des encadreurs. Et tout cela, dans une parfaite insouciance d’adolescents dont l’une des issues les plus évidents, c’est ce phénomène de grossesse.
Réellement, sur une échelle de 1 à 100, quelles doivent être les responsabilités des parents, des autorités et de l’élève elle-même pour arriver au bout de ce fléau ?
Il me serait prétentieux de fixer sur une échelle de 1 à 100, la responsabilité des uns et des autres pour réduire le phénomène. Toutefois, j’estime que les familles et les autorités doivent rompre cette passivité apparente dans l’éducation morale et sexuelle des apprenants. Ce n’est pas de la responsabilité des enfants de stopper la prolifération des programmes de télé qui heurtent la sensibilité ou initient à la sexualité précoce ; de stopper une prolifération des espaces de vente ou d’exposition des revues, supports ou CD à caractère pornographique. Tout comme la responsabilité de créer des structures spécialisées et accessibles d’encadrement des jeunes dans leur rapport à la sexualité ne peut être imputée aux parents. En ce qui concerne certaines structures privées ou les centres médico-scolaires, il faut éviter les attitudes de stigmatisation vis-à-vis des filles ou garçons qui les fréquentent pour des questions liées à la sexualité.
Quel rôle pensez-vous que l’Etat peut jouer dans l’encadrement de la jeune fille pour éviter les grossesses en milieu scolaire ?
L’Etat a un rôle majeur et ce rôle ne doit pas se limiter à la jeune fille, mais doit prendre en compte, les garçons, les principaux et uniques auteurs. Il faut résoudre la question des infrastructures scolaires pour jeunes filles. Il faut rapprocher les infrastructures éducatives des localités d’origine. L’Etat doit prendre le leadership sur les contenus médias qui touchent la sexualité, penser à un cadre répressif à même de protéger les filles victimes de VGB ou grossesse au cours de la scolarisation primaire et secondaire.
Réalisée par Roxane Ouattara