Dans cette interview accordée à L’Avenir, l’ancien journaliste vedette de Radio Côte d’Ivoire, Thomas Makaya, parle de sa nouvelle « religion » : son combat pour la sauvegarde de la planète. Il revient sur les conclusions de la COP15, ainsi que sa carrière de journaliste.
Vous avez pris part à la COP15 qui s’est déroulée du 9 au 20 mai 2022 à Abidjan. Quel regard le président du Réseau Africain des Communicateurs pour l'Environnement (RACE) que vous êtes, porte sur les conclusions de cette COP15 ?
D’abord, je voudrais féliciter les organisateurs, en premier lieu, le président de la République, Alassane Ouattara, pour avoir accepté d’abriter cette COP15, rencontre d’envergure s’il en est, qui traite des thématiques cruciales et planétaires. Je tire également mon chapeau aux Nations Unies à travers la Convention des Nations Unies pour la Lutte contre la Déforestation, avec à sa tête, le Secrétaire exécutif, Ibrahim Thiaw, lequel avait à ses côtés, les autorités nationales, au nombre desquelles le président de cette COP15, l’ancien ministre des Eaux et Forêts, Alain Donwahi.
Quels sont, selon vous, les deux messages clés à retenir de ce rendez-vous d’Abidjan ?
Je me réjouis d’abord que l’Afrique ait touché du doigt, les réalités liées aux problématiques qui empoisonnent le quotidien de ses populations. Le continent africain a essayé de parler d’une même voix pour y trouver des solutions idoines en interpelant le reste du monde sur les répercussions du changement climatique, causé également par les agissements invisibles de l’homme. L’autre message à retenir, c’est l’adoption de plusieurs résolutions parmi lesquelles la restauration des terres. Car, si on n’y prend garde, le désert va continuer à gagner du terrain et les surfaces arables vont se réduire, les sols seront rendus infertile, et par conséquent, les productions agricoles vont s’amoindrir et on va inévitablement aboutir à une insécurité alimentaire. Donc, c’est maintenant qu’il faut prendre les taureaux par les cornes et agir.
Ne craignez-vous pas que ces belles résolutions restent au stade d’intentions ?
Il est vrai qu’on nous a habitués à faire beaucoup de tapage sur de grandes intentions mais, au finish, une fois sorti de ce genre de rencontre, il n’y a rien de concret sur le terrain. Mais cette fois, tout le monde a appelé de tous ses vœux, des actions. L’on a demandé qu’on passe du bla-bla à des actions concrètes en faveur de la résilience des populations.
Au cours de cette COP15, il a été question de l’Initiative d’Abidjan. Que doit retenir le grand public de cette Initiative du gouvernement ivoirien ?
L’Initiative d’Abidjan est censée donner l’exemple de la Côte d’Ivoire au reste du monde. Le Président Alassane Ouattara a dit qu’il espère qu’elle contribuera à faire adopter de nouveaux paradigmes à des pays qui sont en proie aux mêmes fléaux que nous, en l’occurrence la déforestation, la désertification, la sécheresse. Si elle est bien menée, l’Initiative d’Abidjan devrait faire des émules. C’est donc une bonne chose pour notre pays que de contribuer à la stratégie de lutte contre le dérèglement climatique. Le grand public doit s’en imprégner et faire en sorte de la traduire dans son quotidien par des comportements écocitoyens.
« L’Initiative d’Abidjan n’est pas un effet d’annonce »
L’Initiative d’Abidjan n’est-elle pas qu’un effet d’annonce ?
Effet d’annonce ? Je ne le pense pas, au vu de l’engagement des uns et des autres et à la lumière des réflexions des participants. Cette fois, j’ai vraiment eu le sentiment, je ne sais pas si c’est parce que la rencontre s’est tenue chez nous, qu’on a pris conscience de l’urgence climatique. Il est clair qu’on ne va pas continuer de tolérer des pratiques néfastes qui menacent d’hypothéquer l’avenir de l’humanité et partant, la survie des populations et des générations futures.
Durant la grand-messe d’Abidjan, comme vous dites, la Côte d’Ivoire a défendu la restauration de la forêt. Or, à peine la COP15 achevée, voilà qu’enfle une polémique sur la réserve naturelle de Dahliafleur à Bingerville. Que vous inspire cette affaire ?
Oui, j’ai eu vent de cette polémique qui a été vite démentie par le ministère du Tourisme. Selon le ministère, il n’a jamais été question de céder cette réserve naturelle de Dahliafleur et que tout sera fait pour la protéger. Il est cependant, prévu, je crois, des travaux de restauration sur ce site. Il faut toutefois, relever qu’au rythme où l’on va, les espaces verts disparaissent dans Abidjan et autour d’Abidjan. Ce n’est pas une bonne chose, surtout qu’Abidjan a montré au monde entier qu’elle est attachée à la sauvegarde de l’environnement. Qu’une telle polémique survienne quelques jours seulement après la COP15, n’est pas bien pour la crédibilité de l’engagement de l’État ivoirien et en particulier, du District d’Abidjan, de sauvegarder la nature.
« L’écotourisme rime avec respect de la nature »
Le ministère du Tourisme a justement répondu que le site va servir plutôt à faire de l’écotourisme. Le Tourisme est-il, selon vous, une menace pour la préservation des forêts ?
Le Tourisme, certainement. Mais pas l’écotourisme, car l’écotourisme rime avec respect de la nature. C’est de faire en sorte de ne pas mettre à mal, la biodiversité : ne pas détruire les arbres ni tuer les animaux n’importe comment. C’est l’amour de la nature qui conduit à aller admirer la beauté de la forêt et profiter de ses bienfaits. C’est tout à fait le contraire du tourisme d’affaires qui peut conduire à la disparition des espaces verts au profit du béton, greffé à un urbanisme anarchique. Heureusement, on a su réagir pour stopper les constructions illégales sur le parc du Banco, qui est le poumon de la ville d’Abidjan. C’est pourquoi, un mur est en train d’être érigé autour de ce parc pour le préserver.
Que fait le Réseau Africain des Communicateurs pour l'Environnement pour sauver les forêts ?
Le RACE vient de naître. Nous sommes en train de tisser notre toile. Nous avons commencé à travailler sur un plan d’actions en rapport avec la COP15. Le Réseau Africain des Communicateurs pour l'Environnement entend pousser les journalistes à l’action. Nous sommes certes, des journalistes et communicateurs, mais nous n’en demeurons pas moins des citoyens. Nous devons travailler à être des écocitoyens. Nous avons le micro, la caméra et la plume pour sensibiliser les populations pour qu’elles puissent adopter de nouvelles habitudes en rapport avec la préservation des forêts. Notre mission consiste aussi à mieux promouvoir tout ce qui tourne autour des résolutions de la COP15 et d’autres sommets à venir.
Ce combat pour la sauvegarde de la planète est-elle votre nouvelle « religion » à laquelle vous vous êtes converti ?
J’ai abandonné, il est vrai, le micro, pour faire valoir mes droits à la retraite. Mais, est-ce qu’un journaliste peut ne plus se soucier de ce tout ce qui touche le monde ? Déjà, quand j’étais à la radio, j’étais un observateur attentif des maux auxquels la planète était en proie. J’ai su, il y a plus de dix ans que les choses allaient de mal en pis. Les gens étaient d’ailleurs, dubitatifs sur ma vision des choses, qui se confirme pourtant aujourd’hui. J’ai été frappé par cinq fléaux majeurs qui allaient menacer le monde, y compris l’Afrique, en l’occurrence, la désertification, la déforestation, l’érosion, la pollution et les inondations. Nous y sommes ! Le changement climatique que d’autres niaient hier, s’impose aujourd’hui à nous. Pour beaucoup d’Africains, en effet, tout cela n’était qu’une vue de l’esprit hier. Amoureux de la nature, j’ai cru bon, dès lors que je n’étais plus en activité, de me consacrer davantage à la survie de notre chère planète. J’ai opté pour l’écologie de manière générale. Je développe de plus en plus de réflexes écocitoyens, parce que le cœur meurtri par la dégradation constante de notre environnement. On assiste encore, malheureusement, à des attitudes je-m’en-foutistes des Afro-climato-sceptiques qui pensent que les choses vont se régler tout seul.
« J’ai eu tort d’avoir eu raison trop tôt »
Revenons à votre carrière d’homme de radio. Depuis quand êtes-vous parti de Radio Côte d’Ivoire ?
J’ai pris ma retraite, de manière anticipée en 2013, pour des raisons de convenance personnelle. Je me suis retrouvé par la suite à Radio Nostalgie, aux côtés de feu Hamed Bakayoko, qui en était le Directeur Général, avant de clore ma carrière à la Radio des Nations Unies, ex-ONUCI-FM, devenue aujourd’hui, la radio de la paix. Mais je n’ai pas quitté le monde de la communication. Je suis en train de travailler à l’avènement d’une chaîne de télévision panafricaine consacrée à l’écologie avec pour axes principaux, l’environnement, l’agriculture et la santé. Si l’environnement est en péril, l’agriculture s’en trouve impactée et par ricochet, la santé. Ce sont donc trois maillons indissociables. Cette chaîne de télé va promouvoir tout ce qui tourne autour du développement durable.
À quoi vous occupez-vous depuis ?
Depuis mon départ à la retraite, je consacre davantage de temps à la lecture. Même du temps où j’étais en fonction, je nourrissais un amour certain pour la lecture. J’ai écrit, il y a quelques années, une chanson intitulée « Le monde en vers », où je dénonçais déjà, les fléaux auxquels l’on assiste aujourd’hui. Quand j’en parlais il y a dix ans, on me disait : le changement climatique, c’est une affaire de l’Occident. Nous, les Africains, n’en serons jamais affectés. Malheureusement, ces phénomènes que sont la déforestation, la désertification, la pollution, l’érosion et les inondations nous rattrapent. Les sceptiques de l’époque, me disent aujourd’hui : « Tu as eu raison ». Et moi, je leur réponds : « J’ai eu tort d’avoir eu raison trop tôt ».
Pensez-vous avoir perdu quelque chose depuis qu’on entend plus votre voix sur Radio Côte d’Ivoire ?
Dire que le micro ne me manque pas, serait faux. En effet, ça n’a pas été facile de ne plus dire ce « bonjour ! » tonique à mes chers auditeurs qui me sont reconnaissants. J’en rencontre dans les rues ou sur les réseaux sociaux, qui me témoignent un certain égard et cela me fait beaucoup plaisir. Il y a même des jeunes gens qui ne m’ont pas connu ou m’ont peu connu, mais qui, grâce à leurs parents, ont des témoignages sur ces bons moments de l’exercice de mon métier, qu’ils me livrent volontiers. Radio Côte d’Ivoire aura été pour moi, un véritable tremplin pour me faire une place dans le monde de la communication. C’est la maison mère, qui a popularisé mon « bonjour ! » et m’a fait connaître à travers tout le pays et au-delà. J’ai été aidé en cela par des amis animateurs de l’époque que sont EKF (Emile Konan Fréjus ; ndlr), Jacques Bilé, Soro Solo et j’en passe. J’ai des souvenirs vivaces de cette belle époque !
Quels souvenirs gardez-vous de ces années passées à Radio Côte d’Ivoire ?
Je me souviens notamment d’un évènement mémorable. C’était à la faveur d’une de ces émissions publiques que Radio Côte d’Ivoire organisait périodiquement de région en région. Ce jour-là, nous étions à Dimbokro et j’y étais pour présenter le flash d’information. Beaucoup de gens étaient venus m’entendre lâcher mon fameux « bonjour ! », prononcé avec une certaine vigueur. Après l’émission, ils sont venus nombreux m’entourer, qui pour des photos, qui pour des autographes. Je devais revenir avec l’équipe de production, mais j’avais un impératif qui voulait que je sois à Abidjan le samedi soir. Quand les gens qui m’entouraient ont su que je devais me rendre à la gare pour emprunter un car, ils m’ont dit : « La gare n’est pas loin, on fait le chemin avec vous ». Ils ont alors pris mes bagages. Il y avait une foule nombreuse autour de moi, au point que le brouhaha de cette foule a fait croire à certains passants que c’était certainement un voleur que l’on emmenait au commissariat. C’est ainsi que la foule en liesse grossissait et scandait mon nom. Arrivé à la gare, l’un d’entre ces admirateurs demande au chauffeur une place pour le journaliste Thomas Makaya. Et le chauffeur, tout heureux de m’avoir en face, ordonne à celui qui était à côté de lui, de se lever de son siège pour me le laisser. Et mieux, il dit qu’il est enchanté et donc, va m’offrir le voyage gracieusement jusqu’à Abidjan. Ce genre de petites attentions réjouissent le cœur d’un journaliste.
Et si c’était à refaire, exerceriez-vous encore ce métier ?
Si c’était à refaire, je demanderais à Dieu de revenir reprendre le micro et refaire la même chose avec autant de passion. J’ai pratiqué ce métier comme un sacerdoce. Je m’y suis consacré corps et âme. Il m’a procuré beaucoup de satisfactions. Je ne suis pas riche en argent, mais je suis riche en expériences, en amitiés et en relations sincères.
Réalisée par Assane Niada