Vous prévoyez d'animer une conférence de presse avec pour thème : « Les médecins spécialistes de Côte d'Ivoire. Tous unis pour le changement de leurs conditions de vie et de travail ». Quel est problème réel ?
Aucun hôpital ne peut fonctionner correctement sans un médecin spécialiste
Nous voulons d'abord regrouper les médecins spécialistes que nous sommes, pour mieux défendre nos intérêts. Au niveau de la pyramide sanitaire en Côte d'Ivoire, le plus haut sommet, ce sont les médecins spécialistes. Aucun hôpital ne peut fonctionner correctement sans un médecin spécialiste. Mais nous ne sommes pas payés pour le travail que nous faisons. On nous confond aux médecins généralistes et nous avons le même traitement salarial, alors que nous faisons plus d'années universitaires qu’eux. Nous faisons 12 ans d'études universitaires, c'est-à-dire 8 ans de parcours valable aussi bien pour les généralistes. En plus des 8 ans, il y a 4 ans de plus pour les spécialités.
Vous dénoncez votre traitement salarial. Qu'avez-vous entrepris pour obtenir gain de cause ?
Nous avions déposé il y a 10 mois, un préavis de grève. Mais nous avions été reçus par les autorités. Nous avions même reçu une note de la ministre de la Fonction publique, Anne Désirée Ouloto. Cette note indiquait que notre revendication était fondée et que le gouvernement réfléchissait à une piste de solutions. Mais jusque-là, rien n'a été fait. Ce sont plutôt des promesses. Nous avons l'impression qu'on nous tourne en bourrique.
Vous revendiquez par rapport aux médecins généralistes ou parce que vous voulez avoir en tant que médecins spécialistes, un statut particulier ?
Nous le faisons par rapport à nous-mêmes.
nous avons rédigé un mémorandum que nous avions déposé au ministère de la Fonction publique
Mais, il y a le nouveau statut général de la Fonction publique qui a été adopté. Vous n'aviez pas été pris en compte ?
C'est vrai qu'il y a un nouveau statut général des fonctionnaires. Mais ce que vous devriez savoir, c'est que nous, en tant qu'organisation syndicale, nous avons rédigé un mémorandum que nous avions déposé au ministère de la Fonction publique et un autre au ministère de la Santé qui est notre ministère de tutelle. Le mémorandum comportait le statut du médecin généraliste. Mais nos préoccupations n'ont pas été prises en compte. C'est plutôt la carrière du médecin généraliste qui y figure à laquelle nous sommes assujettis.
Et la réforme hospitalière, ne vous prend-elle pas en compte ?
Non, la réforme hospitalière dont la mise en œuvre est effective, ne nous prends pas en compte.
Nous avons toujours privilégié le dialogue
Qu'envisagez-vous pour avoir gain de cause ?
Comme je l'ai signifié, nous avions déposé un préavis de grève que nous avions suspendu pour donner une chance aux négociations. Mais nous n'y avons pas mis fin.
Après la conférence, nous allons convoquer une assemblée générale pour donner une suite à cette affaire, c'est-à-dire analyser la conduite à tenir. Nous avons toujours privilégié le dialogue. Mais nous avons l'impression que nos autorités veulent nous pousser à la violence. Nous disons non.
Dans notre corporation, ce n'est pas tout le monde qui va au privé
Vous revendiquez, alors que vous avez cette réputation d'être de grands absents dans les structures sanitaires publiques. Avoir un spécialiste dans un hôpital public, que ce soit les jours ouvrés comme non ouvrés, n’est pas une chose aisée. Vous êtes déjà bien servis dans les cliniques privées !
Si vous allez en Europe, les médecins préfèrent travailler au public qu'au privé, parce qu'ils sont bien payés au public. Dans notre corporation, ce n'est pas tout le monde qui va au privé. Ceux-là vivent une vie de misère. Ce que vous ne savez pas, c'est que les hôpitaux privés n'ont pas de personnel propre à eux. Si jamais, il y a une décision qui demande aux médecins du public de ne plus faire des prestations au privé, les cliniques privées en Côte d'Ivoire vont fermer. Si vous voulez, faites une enquête, vous constaterez que 99% du personnel médical des cliniques privées sont des agents du public. Ce sont leurs heures libres qu'ils vont vendre au privé. Cette pratique n'est pas interdite.
Toujours est-il que de façon générale, les médecins spécialistes sont accusés de ne pas être à leurs postes de travail dans les structures publiques. C'est la croix et la bannière que vivent les usagers pour avoir un spécialiste. Que répondez-vous ?
Il y a une raison à cela, c'est que nous ne sommes pas nombreux. Je vous donne un exemple. Dans ma discipline, au niveau des médecins anesthésistes et réanimateurs, nous sommes 106 en Côte d'Ivoire, pour une population de 30 millions d'habitants. Faites le ratio et vous verrez. Alors que les normes de l'OMS recommandent 10 médecins pour 100 mille habitants. Cela veut dire qu'il y a un problème. Un médecin a ses heures de repos. Mais si un malade arrive à l'heure de ma prise de repos, je ne vais pas me tuer pour ça. Il n'est écrit nulle part dans le sermon d'Hyppocrate que le médecin doit mourir pour le malade. Concernant les jours non ouvrés, vous ne verrez pas les fonctionnaires à leurs postes de travail les samedi et dimanche.
Dans 2 ou 3 ans, les gens vont chercher les médecins spécialistes avec torche dans les hôpitaux
Le corps médical est un corps spécial…
Vous dites bien que c'est un corps spécial. On devrait bénéficier par conséquent, d'un traitement spécial. Ces jours non ouvrés ne sont pas payés. Il y a des moments où je suis sollicitée à 2 heures du matin pour des interventions. Mais j'y vais, alors que je ne suis pas payée pour ces heures. Figurez- vous que si j'ai un problème sur le chemin, on me demandera qu'est-ce que je faisais sur la route à cette heure de la nuit, alors que je suis partie parce qu'il y avait une vie à sauver. Dans 2 ou 3 ans, les gens vont chercher les médecins spécialistes avec torche dans les hôpitaux, parce que les jeunes qui arrivent, ne font plus de spécialité, étant entendu que le spécialiste et le généraliste sont logés à la même grille salariale. Ensuite, les médecins spécialistes en exercice, quand ils vont en Europe, les gens font tout pour les conserver, parce qu'il y a un besoin énorme chez eux.
Réalisée par Ernest Famin