Interview/ « Son homosexualité », long silence, come-back… Manan Kampess se vide :
« On a enlevé à l’humour, beaucoup de sa substance »
Après une longue période de près d’une décennie d’absence de la grande scène, Do Kanon signe son come-back avec une autre nouvelle vision et une nouvelle orientation de sa carrière. Dans cet entretien qu’il a accordé à L’Avenir, le comédien dit tout.
Qu’est-ce qui pourrait expliquer votre disparition de la scène, alors que vous étiez promu à un très grand et bel avenir ?
Je suis touché par cette démarche d’interview, d’autant plus qu’en tant que journaliste culturel, vous vous intéressez à la vie de l’artiste que je suis. Do Kanon n’a pas disparu. Vous vous imaginez un peu, quelqu’un qui était à l’intérieur lorsque la crise a éclaté en Côte d’Ivoire en 2002. J’arrive à Abidjan, on me propose un rôle. Et je le campe très bien, de sorte que les gens même ont commencé à douter de ma sexualité. Certains n’hésitent pas à me traiter d’homosexuel. Simplement parce qu’on imitait les femmes. Quand les gens ont dit que je ressemble à un ‘’PD’’, je me suis convaincu d’avoir réussi mon coup, parce que le comédien est comme de l’eau qu’on verse dans un récipient et cette eau prend la forme du récipient. Le metteur en scène en son temps, Martin Guédéba qui m’a confié ce rôle, me connaissait déjà, parce que j’avais été meilleur acteur national quand j’étais au lycée. D’abord, meilleur acteur au Lycée moderne de Bouaflé, puis meilleur acteur national au Lycée moderne de Dimbokro par deux fois. Pour revenir à vous, une fois à Abidjan, me voilà lancé dans l’équipe de « Faut pas fâcher » où je joue le rôle de Manankampers. Et ce nom, c’est le public qui me l’a imposé, car le vrai nom c’était Fatatou. Pour vous dire que quelqu’un qui a connu le succès de 2005 à 2012, a du mérite. Avec Manan Kampess, nous avons voyagé à travers l’Afrique. Nous avons lancé la Côte d’Ivoire sur le bouquet Canal à Paris. Ce sont des évènements qui restent marqués dans notre esprit et le personnage a fait son chemin. La preuve, quand je passe quelque part, on me reconnaît toujours. Toutefois, je ne peux pas rester éternellement sur ce rôle pour qu’à la fin, on me dise d’arrêter. Aujourd’hui, ils ont commencé à légaliser certaines choses (je ne veux pas rentrer dans les détails). Donc, je ne voudrais pas qu’on me dise que je fais la promotion de quoi que ce soit.
« Do Kanon n’a pas disparu »
C’est donc essentiellement pour cette raison que vous avez quitté la scène ?
Je n’ai pas quitté la scène. Un produit, quand il a fait une dizaine d’années, il faut le changer. C’est pourquoi, votre interview tombe à un bon moment où je suis en train de finir mes capsules. Et avec ces capsules, les ivoiriens ne vont pas manquer de rire. Le problème dans notre milieu, c’est que quelqu’un peut venir et connaître un succès. Mais si ce dernier n’a pas une écriture, ce sera difficile pour lui. Pour dire que pendant tout ce temps où on ne me voyait pas sur la scène, j’écrivais pour que tout soit prêt au moment où je voudrais tout déballer.
Donc pendant 8 à 9 ans, vous vous êtes mis à écrire ?
Je suis d’abord fonctionnaire. Je suis au ministère de l’Education nationale, précisément au service de la promotion des arts et de la culture en milieu scolaire. Toutefois, durant toute cette absence, Manan Kampess ne faisait certes, pas de grands spectacles, mais il était tout de même invité à des cérémonies où on lui payait un cachet et il voyageait.
Parlant d’homosexualité, êtes-vous conscient que vous avez contribué à sa promotion avec le duo que vous formiez avec Jimmy Danger ?
À vue d’œil, on peut dire que j’y ai contribué. Mais non, je n’ai pas fait cela. On m’a donné un rôle que j’ai bien campé en imitant les femmes. Nous avons des régions en Côte d’Ivoire où les gens s’habillent en femme à l’occasion des cérémonies festives et de réjouissance. C’est parce que j’ai bien joué le rôle que les gens m’ont collé cela à la peau. Mais regardez comment je suis habillé, comment m’avez-vous trouvé ? Est-ce que j’ai vraiment l’air d’une femme dans ce costume ? Que les gens arrêtent un peu.
« Les jeunes pensent que c’est par le fait de se vendre en images sur un écran qu’on est comédien ou humoriste »
Est-ce que cette étiquette a été préjudiciable pour vous ?
Il n’y a pas un seul homme dans ce monde qui peut être compris. Il y aura toujours d’un côté, des gens qui vont vous comprendre et de l’autre, ceux qui ne vont pas vous comprendre. C’est comme ça. On doit faire avec. Mais cela ne veut pas dire que je jette la pierre aux homosexuels et transsexuels.
Aviez-vous eu des propositions alléchantes dans ce sens ?
C’est une seule fois. Ce jour-là, j’étais dans un endroit et un monsieur qui était avec son épouse, m’a dit que son patron, un Européen voulait me croiser. Le jour du rendez-vous, je lui ai demandé : Où allons-nous ? Il m’a dit que le rendez-vous était pris dans un restaurant à Angré. Comme j’ai vite compris leur jeu, je leur ai demandé s’ils voulaient m’empoisonner pour pouvoir arriver à leurs fins. Et comme ils ne répondaient pas bien, j’ai décliné leur invitation. Que les gens sachent qu’à la base, je suis éducateur. Donc, je sais ce que je fais et je sais où je vais.
Cela ne vous a donc jamais tenté de vouloir pour mieux camper le rôle ?
Non, non, jamais !
Qu’en est-il de vos rapports avec Jimmy Danger avec qui vous formiez ce duo ?
Nous sommes toujours ensemble. C’est vrai qu’on ne fait plus de grands spectacles au Palais de la Culture, mais on nous invite toujours. On est toujours ensemble. Nous avons même été invités au Parlement du rire par Mamane, cela, parce que nous avons de la valeur.
Justement. Parlant de valeur, comment jugez-vous le niveau actuel des humoristes ivoiriens ?
L’humour a évolué, mais on lui a enlevé beaucoup de sa substance. Aujourd’hui, nous sommes dans le digital. Le temps est important, donc on cherche à gagner en temps. Avant, les premiers qui partaient aux spectacles, il fallait être intellectuel. On disait même que c’étaient des spectacles hermétiques. Il y avait à cette époque, des textes et aussi le rire. C’est cette façon de faire que nous avons épousée. Nous nous basions sur un texte et dedans, il y a des séquences d’humour. Mais en même temps, nous faisions passer des messages que nous étions contre la pratique de l’homosexualité dans nos spectacles, car, ne faisant pas partie de nos mœurs. Aujourd’hui, il n’y a plus de textes, encore moins des répliques. Pourtant, quand le texte est là, on sait à quel moment, il y a une introduction, un développement et une chute. Mais avec l’humour, avec les blagues, le théâtre va disparaître.
« Je n’ai pas quitté la scène »
Quel est donc votre jugement sur le travail des web-humoristes ?
Parmi eux, il y en a qui sont bien. Les jeunes pensent que c’est par le fait de se vendre en images sur un écran, qu’on est comédien ou humoriste. Non, il faut une formation. Quelquefois, tu regardes la vidéo, tu es énervé. Tu es obligé de faire avancer pour voir la chute. Or, s’il y a une bonne introduction, un bon développement, on ne va pas accélérer ta vidéo, on va aller jusqu’au bout pour voir la fin. Le comique est dans la chute, la langue qui fait rire, c’est la langue française. Quand tu sais l’exploiter, il n’y a rien de tel.
Et quelle est votre appréciation sur la progression d’Eunice Zunon qui a remporté le prix de la meilleure humoriste de l’année 2021 au PRIMUD ?
Voyez-vous pourquoi c’est le travail qui paie ? Elles ont envie de faire l’humour. Vous vous imaginez un peu, depuis 2004-2005, Manan Kampess est encore là. Pensez-vous que c’est du jeu ? C’est du travail. Moi, je leur demande du travail. Parce que pour être constant, ce n’est pas facile. Tu peux raconter une blague qui ne fait pas rire, mais sur place, tu vas créer un élément d’humour en jouant avec la salle, en improvisant. Je reviens et vous allez voir un nouveau personnage que j’ai créé. Ce personnage, on l’appelle Goplou. Ce n’est plus pour longtemps.
Que va véritablement apporter de nouveau, ce retour avec le personnage Goplou ?
Goplou, c’est un insecte que les baoulé appellent ‘’Akin’’. En Bété, ça donne Goplou. C’est un insecte qui peut passer entre vos jambes, mais attention à ne jamais marcher sur lui. Sa défense, c’est son odeur. Avec Goplou, ce seront des histoires comiques écrites et jouées avec des répliques comme on le voyait en son temps, avec les Wintin-Wintin, les Guignols le faisaient. Vous voyez, avant, lorsque le journal passait à la RTI, après 20h, on ne trouve personne dans la rue, parce que les gens recherchaient le rire. C’est un grand retour. Les gens seront contents parce qu’il y aura du rire à volonté. Je vais leur offrir le rire, on ne force pas.
Le personnage Goplou n’a-t-il pas été créé pour faire allusion au nom Gohou et créer une confusion ?
Oui, ça rime certes, avec le nom Gohou, mais ce ne sont pas les mêmes dogmes. Quand vous allez regarder, vous allez dire effectivement que les deux personnages n’ont rien à voir. Je voulais même changer le nom à cause de cette allusion et confusion que les gens pourraient faire, mais j’ai décidé de laisser comme tel. N’oubliez pas que je suis chargé de la promotion des arts et de la culture en milieu scolaire. On ne le fait pas au hasard. Retenez tout simplement que c’est le grand retour de Do Kanon. Écrivez bien, le grand retour de Do Kanon avec ses capsules, avec ses films comiques.
Pensez-vous vraiment que vous avez encore de la place avec tous les talents qui sont venus après vous ?
Je vous ai dit que les autres racontent des blagues. Ceux qui sont forts actuellement racontent des blagues. Ce ne sont pas des répliques.
Philip Kla