À quelques de la sortie de son album marquant le début de la célébration de ses 45 ans de musique, Aïcha Koné s’est ouverte à L’Avenir. Sans faux-fuyant, ‘’La Diva’’ nous fait voyager dans ses années de gloire, son souvenir douloureux de la crise de 2010, non sans lever le voile sur ses rapports avec la Première dame Dominique Ouattara.
Le 27 novembre 2021 marquera le début de la célébration de vos 45 ans de carrière musicale par la sortie d’un album. Quels souvenirs de ses 45 ans de vie musicale ?
Je rends grâce à Dieu, pourrais-je dire. C’est d’ailleurs, la raison pour laquelle j’ai baptisé cet album ‘’Merci’’ pour remercier le seigneur et tous ceux qui m’ont aidée dans ce métier. Certes, tout n’a pas été facile, toutefois, je ne cesserai de dire merci à mes fans et à toute l’Afrique qui ont permis que je devienne ‘’Maman Africa’’. D’ailleurs, pour cette célébration, je compte faire venir à Abidjan, des artistes de différents pays pour fêter ensemble. Je prévois aussi des tournées dans la sous-région. Ce sera une bonne aubaine pour parler de paix, de réconciliation. Pour revenir au 27 novembre, ce sera la dédicace de mon album.
Quelle sera la coloration de cet album ?
Il y a du tout dont des reprises, des inédits, le travail des professionnels comme Boncana Maïga, Manu Dibango. Il y a en clair, toutes sortes de couleurs avec des collaborations avec de jeunes arrangeurs comme Patché, sans toutefois dénaturer mon genre et mon identité musicaux. L’album comportera 45 titres.
Ce sera le dernier album de votre carrière avec ces 45 titres que vous sortez ?
Non, du tout ! Mes chansons actuelles tendent vers le spirituel, le pardon. Cela, en adéquation avec la situation socio-politique. D’ailleurs, dit-on que quand vous ne faites pas la politique, à un moment donné, elle vous fait. C’est pourquoi, je m’étonne quand des gens se demandent pourquoi je veux faire la politique. Que ceux-là sachent que je n’appartiens pas seulement qu’à la Côte d’Ivoire, mais à toute l’Afrique. J’ai fait par exemple, une chanson comme ‘’Kanawa’’ pour montrer mon ras-le-bol et mon cri de guerre contre la guerre quand je chantais l’Angola, la Somalie, l’Éthiopie. Cela, parce que pour moi, la guerre est avant tout politique, et l’artiste qui reste insensible face à ce genre de situations, n’est pas normal.
« J’ai pleuré des gens comme Wattao, Hamed Bakayoko »
Justement, votre engagement dans la politique, surtout aux côtés du président Laurent Gbagbo vous a conduite à l’exil. Depuis, est-ce que ce soutien ou ce militantisme politique auprès du président Laurent Gbagbo a changé ou est toujours d’actualité ?
(Elle se met à rire aux éclats). Je soutiens à fond, le président Gbagbo. Cela, parce qu’il ne se cantonne pas seulement qu’au FPI, mais vient de créer le PPA-CI qui est pour moi, un parti panafricain. Nous voulons que nos enfants puissent bénéficier demain de cette liberté que nous avons toujours souhaitée. Malheureusement, aujourd’hui, cette liberté, nous ne la vivons pas comme cela doit être. Ce que je dis est autant valable pour la Côte d’Ivoire que pour le Burkina Faso, le Mali, la Centrafrique… Je ne sais pas s’il faut comparer la situation avec tout ce qui se passe au printemps Arabe, n’empêche qu’il y a une révolution africaine qui est en train d’émerger. Ce n’est pas facile, mais pour autant, on ne baissera pas les bras non plus, car on a vraiment besoin de cette liberté.
Vous rêvez donc de ce printemps en Côte d’Ivoire ?
Non, du tout ! Je n’y rêve pas du tout, car ce que nous avons connu pendant cette crise, nous prions Dieu pour ne plus le revivre. Jusqu’aujourd’hui, je traine encore les séquelles de la crise de 2010. Je ne souhaite donc plus la guerre pour mon pays ou pour quelque nation que ce soit.
« Je ne peux jamais oublier Houphouët »
L’imaginaire populaire s’étonne qu’en lieu et place du pouvoir Ouattara, c’est plutôt le président Laurent Gbagbo que vous soutenez…
Pourquoi s’étonner ? Sur quels critères ? Laissez-moi vous dire qu’un individu qui voit le soutien d’un leader par rapport à sa région, n’a pas compris le sens de la lutte. Pour moi, il faut plutôt suivre un leader par rapport à ses idéaux. Beaucoup de gens m’ont effectivement reproché le fait que je ne sois pas avec Ouattara. Simplement, défendent-ils parce que je serais de la même grande région avec le président Ouattara. Moi, je ne suivrai pas un leader pour le simple fait qu’il est du Nord comme moi. Je suis désolée. Je suis un leader pour ses idées, pour ce qu’il peut apporter à toute la nation. Je ne marche pas avec le tribalisme.
Allez-vous oui ou non prendre votre carte d’adhésion à l’UGN ?
Non, je ne prendrai pas de carte pour adhérer à l’Union du Grand Nord. Je ne comprends vraiment pas pour l’heure, cette union. Cette histoire du Grand Nord, je n’y comprends rien du tout. Je ne veux pas non plus me retrouver dans une affaire de clan. D’ailleurs, moi-même, je suis issu d’un cocktail de races en Côte d’Ivoire. Ma mère est née à Daloa d’une femme Gouro et c’est son père qui est de Sikasso. Ma grand-mère est donc une Gouro de la famille Douabou de Douafla. Cette histoire de Nord ou Sud ne m’arrange pas, car je suis métissée.
« Je suis très proche de l’épouse de monsieur Ouattara »
Aïcha Koné, c’est aussi plein de souvenirs avec le président Houphouët-Boigny. Il vous aurait même couverte de plein de cadeaux, d’argent et maisons. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?
(Rire). Houphouët m’a donné plus que l’argent. Il m’a couverte de son affection paternelle. Il me disait qu’il était l’ami de mon père qui était médecin comme lui. Il a même fait de mon père, un parlementaire. Je me considère comme l’une des enfants du président Houphouët-Boigny et il me l’a bien rendu. Je vous raconte une anecdote. Après un concert avec ma sœur Reine Pélagie, un article paru en son temps dans Fraternité Matin, m’a démontée, présentant Pélagie comme meilleure que moi et que je ne suis pas une chanteuse ; il était mieux que je raccroche, car je n’allais pas faire une bonne carrière. Quand le président a vu l’article, il a demandé à Ben Soumahoro de prendre contact avec moi. Quand il m’a reçue, il m’a dit que je ne méritais pas tout ce qui avait été dit sur moi dans l’article. C’est ainsi qu’il a décidé d’organiser mes dix ans de carrière pour que je puisse prouver à toute la Côte d’Ivoire que je suis une grande chanteuse. Il disait à quiconque que j’étais la fille de son ami et qu’il ne souhaiterait pas qu’on m’embête. Ce sont pour moi, des choses qui sont plus fortes que l’argent. Houphouët était pour moi, comme un pilier. Il ne se passait pas un spectacle à Yamoussoukro sans moi. À la célébration de mes dix ans de carrière, il a déplacé l’ambassadeur Georges Ouégnin à l’Ivoire pour me remettre une rose sur scène, afin de me rassurer de son soutien paternel. Ce qui a fait le tour de toute l’Afrique. Et, au cours de mes déplacements dans les pays voisins, chaque chef d’État tenait à me serrer la main et me faire un cadeau. C’est tout simplement une chance pour moi, Houphouët.
« Je ne marche pas avec le tribalisme »
C’est donc de cette affection et paternité dont vous souhaitez bénéficier du président Alassane Ouattara ?
(Elle hésite un moment). Vous savez, je ne suis pas cette femme-là. Pour moi, soit mes chansons vous plaisent et vous me faites venir, soit c’est le cas contraire. Dans différents pays où je suis passée, après mes spectacles, les chefs d’États me prennent en privé pour leur offrir leurs spectacles. C’est vrai que tout cela est toujours suivi d’enveloppes très consistantes, mais ce n’est pas là ma priorité. D’ailleurs, je suis très proche de l’épouse de monsieur Ouattara que je connaissais bien avant qu’elle ne soit avec le président. J’allais chez elle, j’animais ses cérémonies. J’ai donc gardé toutes ces relations. Quand j’ai été en Guinée à cause de la crise de 2010, c’est madame Ouattara qui m’a appelée me demandant de revenir à Abidjan et d’être parmi ses invités pour le gala de Children of Africa. Je n’ai certes, pas de rapport avec le président Ouattara, mais avec la Première dame, oui.
« Pour moi, seul le pardon doit prôner »
Revenons sur cette rivalité avec Reine Pélagie en son temps. Ce n’est pas cette façon de faire que la jeune génération a copiée à travers les clashs sur les réseaux sociaux ?
Je le déconseille aux jeunes artistes. Le jour où je devais faire ce spectacle avec Reine Pélagie, Paul Dokui et Tonton Bouba qui l’organisaient, nous ont fait asseoir à la maison de la radio, nous demandant de jouer le jeu d’une quelconque rivalité entre nous. Mais quand j’ai lu l’article de Bernard Ahua dans Fraternité Matin, j’étais dans tous mes états. Mais les voix du seigneur étant insondables, c’est cet article dans lequel j’étais démontée qui m’a encore rapprochée du président Houphouët-Boigny. J’ai les larmes aux yeux en évoquant ces souvenirs. (Elle se met à pleurer à chaudes larmes pendant plus d’une minute). J’étais sur le point de raccrocher, mais Houphouët m’a redonné la force (elle se remet à pleurer). Je ne peux jamais oublier Houphouët (elle pleure de nouveau).
Pensez-vous à une retraite musicale ?
Oui, j’y pense sincèrement. C’est dans cette logique que je me suis orientée davantage vers le spirituel, car je veux plus tard, que mes chansons soient des cantiques.
Vous voulez être chantre ?
Oui, c’est ainsi que j’aimerais finir mes vieux jours. C’est mon souhait.
Si votre carrière était à refaire, qu’auriez-vous changé ?
Je crois que la guerre n’aurait pas existé en Côte d’Ivoire. La guerre n’est pas une bonne chose, c’est une plaie qu’on porte toute la vie. Voyez-vous des gens comme Wattao, on sentait qu’il regrettait beaucoup de choses dans ses derniers moments. C’est le repentir qui donne le paradis. J’ai pleuré des gens comme Wattao, Hamed Bakayoko, surtout quand on a appris qu’au dernier moment, il cherchait à joindre Guillaume Soro.
Vous avez des relations particulières avec Guillaume Soro ?
On ne parlera pas de relations particulières. Je l’ai côtoyé quand il est Premier ministre de Laurent Gbagbo. Je garde tout de même un souvenir de Soro qui était un homme très généreux. Soro avait offert mon spectacle avec Salif Kéïta à la ville de Bouaké. C’est ce jour-là que j’ai connu Chérif Ousmane qui était à mes soins. Mon cœur saigne quand je revis ces souvenirs. Ce sont des gens qui ont un fond bon, mais quand le mal prend le dessus, il les rend méconnaissables. Après sa rupture avec le RDR, j’ai vu Soro faire le tour de la Côte d’Ivoire pour demander pardon. Certains même disaient qu’il n’était pas sincère. Sinon, moi, j’ai vu un Soro qui demandait pardon et si ce qu’il a fait est vrai, Dieu va lui pardonner. J’ai fait une chanson pour Soro qui a été critiquée par certains, pourtant, c’est un fils du pays.
« Houphouët était pour moi, comme un pilier »
Justement, c’est dans cette dynamique de pardon que vous vous réconciliez récemment avec Touré Ahmed Boua qui vous a même offert une voiture…
Effectivement, mais ce n’est pas de ce genre de pardon que je parle. Touré Ahmed Boua est un frère de ma région. C’est quelqu’un de très généreux. C’est d’ailleurs, avec beaucoup de plaisir que j’ai accueilli le don de la voiture qu’il m’a fait.
De quoi vit Aïcha Koné aujourd’hui quand on sait que cela fait plusieurs années que vous ne sortez plus d’album ?
Ma mère m’avait aidée à investir dans l’immobilier. Donc, je n’ai pas mal de maisons aujourd’hui. Je vis donc de mes biens immobiliers. Dieu merci, je vis dans une maison qui m’appartient, c’est une grâce et pour ça, je rends hommage au président Lansana Conté qui, après la chanson que je lui ai dédiée, sa femme m’a donné un pactole qui m’a permis de terminer ma maison. J’ai aussi d’autres maisons dans différents quartiers d’Abidjan.
Aïcha Koné se considère-t-elle comme une femme ou une artiste incomprise ?
Oui, je suis incomprise. La politique, je la fais parce que la vie même est politique. En Guinée où j’étais en exil, j’ai aussi pris part à pas mal de mouvements. Pour moi, seul le pardon doit prôner, car seul l’incrédule croit que celui qui pardonne est bête.
À l’instar de Papa Wemba qui avait dit que son rêve était de mourir sur scène, quel est votre plus grand rêve ?
Wemba, c’est Wemba ! Moi Aïcha, mon rêve, c’est de mourir avec le nom de Dieu et de mon prophète Mahomet. Je crois en Dieu et à tous ses attributs, ses livres saints, à tous ses prophètes. C’est mon souhait comme celui d’ailleurs, de tout bon musulman.
Philip Kla