Connu pour son franc-parler, Pat Saco, le lead vocal du groupe Espoir 2000, se lâche dans cette interview qu’il a accordée à L’Avenir. Du retour de son groupe sur la scène discographique en passant par la maladie de son binôme Valery, ses rapports avec Charles Blé Goudé et le président Laurent Gbagbo et son avis sur les crises au Bureau ivoirien du droit d’auteur (BURIDA), Pat Saco dit ses vérités.
Cela fait quand même un bon moment qu’on n’a plus les nouvelles du groupe Espoir 2000 dont la dernière sortie discographique date d’il y a au moins cinq ans. À quand le retour sur la scène discographique ?
Soyez rassuré, le groupe Espoir 2000 est toujours d’actualité. Ce qu’il faut savoir, c’est que quand on atteint un certain niveau et une certaine notoriété, il faut éviter de s’adonner à n’importe quoi. Du coup, il faut prendre le temps de bien travailler et tout calculer avant toute sortie. Malheureusement, chemin faisant, il y a eu la maladie de mon binôme Valery qui nous a fait prendre un retard dans la sortie de notre album. Le dernier album est sorti en 2014.
De quoi vivez-vous durant ces sept ans sans sortie discographique ?
Dieu veille sur nous (Rire). Sinon, on vit de nos prestations et de quelques petites affaires que nous avons.
Il y a eu, certes, la maladie de Valery qui a dû certainement freiner la sortie de votre album. Toutefois, ne craignez-vous pas la nouvelle génération qui monte en puissance ?
Non, pas du tout ! C’est d’ailleurs, une génération avec laquelle nous travaillons et qui nous sollicite pour des conseils. Je ne comprends donc pas pourquoi on parlerait de peur ou de crainte. Sinon, il y a Yodé et Siro, Les Patrons, Lago Paulin qui sont déjà sortis. Ce sont plutôt ceux qui ont peur qui parlent de génération. Sinon, le terrain est bien grand et chacun doit pouvoir prendre sa part du marché.
Et quand comptez-vous prendre votre part du terrain ?
Dieu merci, Valery va mieux. Donc, d’ici au début de la nouvelle année, probablement entre février et mars 2022, notre album sortira.
De quoi souffre concrètement Valery au point d’être si loin de la scène ?
Il a eu un cancer de sang. Certes, c’est une maladie qui n’est pas facile à soigner, mais par la grâce de Dieu, les médecins français ont pu faire ce qu’il faut. Valery a subi une greffe osseuse et Dieu merci, il va mieux. D’ailleurs, il sera de retour au pays avant la fin de l’année.
Pour ce nouvel album, quelles seront les couleurs et les thématiques qui y seront abordées ?
On connait Espoir 2000. On touche un peu à tout. Il y aura aussi des thématiques liées à l’actualité du pays, la femme, la politique…
On sait votre proximité avec les anciens dirigeants de la Refondation. On n’imagine vos critiques pour tenter d’accabler le pouvoir en place…
Je ne suis ni proche de l’opposition ni proche du pouvoir en place. Je relève les problèmes de société peu importe le bord politique que cela touche. Je ne fais pas de la politique, mais quand ça ne va pas, il faut avoir le courage de le dire et c’est ce que je fais en général.
Vous vous considérez comme un artiste engagé ?
Engagé dans le sens que je n’ai pas de parti pris, mais je dénonce. Je ne me mets pas avec tel aujourd’hui au point de ne pas pouvoir parler quand il déconne.
Vous aviez pourtant fait partie de la galaxie patriotique à l’époque ?
C’est malheureusement ce que les gens n’ont pas compris. Ce n’était pas un soutien au pouvoir en place, mais plutôt un cri du cœur, un mécontentement collectif. Je ne vois pas qui peut être content de voir son pays être attaqué. C’était normal pour moi de réagir, car un artiste défend des valeurs nobles comme la paix et tourne le dos à la guerre.
Vous étiez quand même proche de Charles Blé Goudé et du président Laurent Gbagbo. Leur aviez-vous manifesté votre soutien lorsqu’ils étaient à la CPI ?
Évidemment ! J’ai été à La Haye pour rencontrer Charles Blé Goudé et lui apporter mon soutien. D’abord, parce que c’est un Ivoirien et comme le président Laurent Gbagbo l’a lui-même dit, la Constitution dit qu’aucun Ivoirien ne doit être contraint à l’exil. C’est dans ce sens que je suis allé lui rendre visite et lui témoigner de mon soutien. Je l’ai fait sans bruit ni tapage médiatique non pas parce que je craignais quoi que ce soit. Pour moi, chacun est libre de penser ce qu’il veut de cette visite.
Quel est votre avis sur les scissions au sein du FPI qui ont abouti à la création du PPA-CI ?
Je ne suis pas du FPI, par conséquent, je ne peux pas prendre position dans une telle affaire. On sait tous que toute division est mauvaise, mais en politique, c’est fréquent. Il y a des alliances et des divisions et j’ose espérer que dans l’avenir, ils vont se retrouver pour un meilleur objectif.
Quel est votre regard sur la nouvelle génération d’artistes-chanteurs Zouglou que des anciens comme Lago Paulin estiment qu’ils dénaturent le genre musical ?
Chacun aborde la musique comme il la ressent, car tout est une question d’inspiration. Si cela plait, il n’y a aucune raison que nous autres, puissions-nous y opposer. Le problème de Lago Paulin porte sur des écarts de langage qu’il déplorait. C’est une génération que je félicite beaucoup, parce qu’elle se bat et essaie de tenir le public en haleine pendant que nous mettons du temps à sortir. D’ailleurs, ce sont des jeunes gens qui m’approchent et me sollicitent pour des conseils. À propos du problème de Lago Paulin, j’ai même été interpellé en ma qualité de président de la Fédération nationale des artistes Zouglou et le problème a été réglé.
Pour vous, quels sont les meneurs de cette nouvelle génération du Zouglou ?
Ils sont tous bons. De Magic Diezel en passant par Les Leaders, Kéïpoké, Révolution, VDA…, ils sont tous bons. Récemment, Magic Diezel était sur tous les spotslights, et actuellement, on a VDA et après, ce sera quelqu’un d’autre. Pour dire qu’on ne peut pas parler de meneur.
Quel est votre avis à propos de l’accusation selon laquelle le groupe VDA ne respecterait pas les aînés ?
En tant que président, j’ai eu à échanger avec eux, car il y avait beaucoup de plaintes les concernant. Tout a été dissipé et on n’a plus entendu ces plaintes.
Comment expliquez-vous, qu’après trente ans, le Zouglou (à part Magic System), n’arrive pas à s’exporter sur le plan international ?
Une carrière n’est pas forcément belle quand elle devient internationale. Il y a des artistes camerounais qui s’en sortent mieux chez eux. Pour dire que ce n’est pas forcément quand on fait le tour du monde qu’on a une belle carrière. Par exemple, dans notre cas, que ce soit en Europe ou ailleurs, il y a des milieux que je pénètre sans problème. Pourtant, on n’a pas encore atteint le niveau de Magic System.
Selon vous, quelle est la plaie de la musique ivoirienne qui fait qu’elle s’exporte difficilement ?
La plaie de la musique ivoirienne, c’est la formation. Vous avez des artistes aujourd’hui qui n’ont aucune notion du digital. À cette ère du numérique, c’est inadmissible qu’un artiste ne maitrise pas ces nouveaux outils. C’est la raison pour laquelle, nous étudions sur la possibilité d’une formation de nos artistes. Quand ils seront formés, ils comprendront beaucoup de choses.
Cette méconnaissance de l’environnement n’est-elle pas à la base des nombreuses dissensions au BURIDA ?
Cela peut être un facteur de cette situation. Pour être franc, aujourd’hui, au moins 80% des artistes ivoiriens n’ont plus envie de créer des œuvres. Ils visent plutôt le Conseil d’administration du BURIDA. Ce qui est triste, c’est qu’un Conseil d’administration est par essence, représenté par les actionnaires majoritaires. Même si au BURIDA, on ne peut pas parler de Conseil d’administration, mais les personnes qui y siègent doivent avoir un minimum de connaissances sur les droits d’auteur pour défendre celles qui n’y sont pas. Le problème du BURIDA, c’est que les gens veulent être au Conseil d’administration pour aller profiter de l’argent de ceux qui créent. C’est ce qui fait que le BURIDA n’avance pas. On ne peut pas prendre un artiste qui a sorti un single pour le mettre dans le Conseil d’administration.
Est-il vrai que des artistes n’ayant qu’un seul single siègent au BURIDA ?
Bien sûr ! Si vous prenez le Conseil actuel, vous le verrez. L’inspection générale d’État a même demandé à voir récemment, les CV des membres de ce Conseil de gestion et de restructuration.
Un autre audit serait-il en cours ?
On avait déjà fait un audit qu’on refuse de lire. Il y a plein de choses qui ne sont pas respectées au BURIDA. Ce qui fait qu’il y aura toujours des problèmes dans cette maison. Pour moi, en termes d’entrée d’argent, après le port d’Abidjan, c’est le BURIDA. Il y a de l’argent, mais les artistes ivoiriens sont les plus malheureux de la sous-région. Chez nous, on n’a que des ‘’mange-petit’’ et comme il n’y a pas de filtre, il n’est pas rare de voir 300 personnes qui ne produisent pas, s’associer à 50 autres qui produisent pour gagner les élections. Il nous faut des experts pour siéger au Conseil d’administration et non des gens qui ont faim. Nous devons revoir nos textes. Malheureusement, récemment, le ministre Bandaman avait nommé des gens pour revoir les textes. Ce sont tous les belliqueux qui ont été mis au Conseil de gestion provisoire et de restructuration. Le Conseil d’administration qui comprenait 14 personnes est passé à 40 personnes. En plus, ce ne sont pas des gens de référence. Au lieu de jetons de présence pour les réunions, ceux-ci s’octroient des salaires là où on parle de Conseil de gestion et de restructuration pour redresser la main.
Ce Conseil, dit-on, au terme de son mandat, a plaidé pour une rallonge afin de travailler davantage sur des textes consensuels…
C’est pour faire quoi ? Voilà des gens avec qui on se battait tous pour dénoncer la mauvaise gestion de Mme Irène Vieira, mais une fois au Conseil, ils font pire. Lorsqu’on leur demande des comptes, ils disent avoir été nommés par le président de la République et qu’ils n’ont aucun compte à nous rendre. Et lorsqu’ils ont vu qu’on a commencé à grogner, ils nous convoquent un an huit mois plus tard, au Palais de la Culture de Treichville pour nous faire un point. Ce qui est dommage, c’est que ce sont ces mêmes artistes qu’on voit en train de critiquer des gouvernements. Pourtant, ils ne peuvent pas gérer la petite maison qu’est le BURIDA.
Quel est donc le bilan de cette gestion qui vous a été fait ?
C’est zéro ! Ce sont des points dans le genre, nous avons contracté plus de 1 500 maquis au niveau d’Abidjan, à Abengourou…En clair, ce ne sont que des projections qui ont été faites. Est-ce normal que des gens qui viennent pour redresser une maison se paient deux voitures de 30 millions ? Le personnel du BURIDA vit mieux que les artistes. Pourtant, on est supposés être leur patron.
Le décret portant rémunération pour copie ne va-t-il pas résoudre tous ces nombreux problèmes au BURIDA ?
C’est salutaire, mais je ne pense pas que cela puisse régler le problème. Parce que l’argent va s’arrêter là où il est toujours resté, c’est-à-dire au niveau du Conseil d’administration ou de gestion. Tout ce qu’on demande, c’est que le Conseil travaille à mieux répartir l’argent, au lieu de s’en servir à titre personnel. Voyez-vous, les 40 membres du Conseil de gestion et de restructuration du BURIDA ont au moins 250 millions F CFA au cours d’une année. Au Bureau burkinabè des droits d’auteur, le président du Conseil d’administration n’a pas de bureau. Mais, ici, le président du Conseil de gestion et de restructuration du BURIDA a quitté les locaux du BURIDA pour aller s’installer dans un immeuble quelque part à la Riviera Palmeraie, avec une secrétaire. Et tout cela est payé par notre maison. Ils préfèrent aller faire la courbette chez la ministre pour prolonger leur mandat, car ils n’ont pas envie de quitter leur poste maintenant. Avec cet esprit, le BURIDA ne peut jamais avancer et il y aura toujours des palabres.
Pour vous, quelles sont les solutions pour un BURIDA sans crise ?
Je préfère qu’on implique des experts dans la gestion du BURIDA et qu’on fasse des audits. Cela permettra de mettre fin à cette plaisanterie qui nous fait croire que n’importe quel artiste peut siéger au BURIDA.
Philip Kla