Depuis l?attaque djihadiste commise dans la nuit du 4 au 5 juin contre le village de Solhan dans le Nord-Est et ayant fait de 132 à 160 morts, les manifestations de colère se multiplient dans le pays. Tout juste une semaine après ce massacre, le plus meurtrier au Burkina Faso depuis le début des violences djihadistes il y a six ans, plusieurs milliers de personnes avaient manifesté à Dori, le chef-lieu de la région du Sahel où se trouve Solhan, pour dénoncer « l?inaction » des autorités.
Les Burkinabè manifestent leur colère
Ce Samedi 3 juillet, d?autres manifestations aussi importantes ont eu lieu dans plusieurs villes des régions du Nord et du Centre-Nord. « Des morts et des morts, on n?en veut plus ! », « Non à l?insécurité grandissante » ou encore « On veut cultiver nos champs en paix », pouvait-on lire sur les pancartes brandies par les habitants en colère.
Une plainte déposée contre l'État pour non-assistance
Ces rassemblements s?organisent à l?appel de l?opposition et de la société civile, qui ont décidé de ne pas rester les bras croisés. Le Balai citoyen, qui a été à la pointe de l?insurrection populaire ayant abouti en 2014 à la chute du président Blaise Compaoré, n?a pas appelé à manifester, mais a déposé plainte contre le gouvernement pour « non-assistance à personnes en danger ». « La non-intervention du détachement militaire basé à Sebba (15 km de Solhan) et la durée de l?attaque, qui a été d?environ 4 heures de temps, ont poussé le Balai citoyen à formuler cette plainte », a affirmé le mouvement.
Il estime que le massacre de Solhan « constitue le symbole de l?incapacité notoire, voire de l?insouciance du gouvernement à protéger les populations contre le péril terroriste ». Le pouvoir du président Roch Marc Christian Kaboré « a consciemment fait le choix d?abandonner les populations à leur triste sort », a-t-il expliqué. « Face à cette trahison d?un gouvernement insouciant aux appels au secours de populations en détresse qu?il a l?obligation de protéger en tout temps et en tous lieux », le Balai citoyen a demandé à la justice d?en « tirer toutes les conséquences de droit ».
Le président reprend en main les dossiers sécuritaires
Face à cette colère, le président Kaboré, au pouvoir depuis 2015 et réélu en 2020 sur la promesse de ramener la paix dans son pays, a annoncé cette semaine le limogeage des ministres de la Défense Chérif Sy et de la Sécurité, Ousséni Compaoré. Le chef de l?État, qui a demandé à l?opposition et à la société civile de « surseoir » aux manifestations prévues ce week-end, assumera lui-même le poste de la Défense.
« Un nouveau gouvernement est en place. Le remaniement ministériel intervenu ce 30 juin 2021 s?inscrit dans ma volonté de donner un nouveau souffle à notre engagement face aux défis majeurs de notre nation », a-t-il écrit sur ses comptes Twitter et Facebook. Le président Kaboré avait déjà gardé ce portefeuille lors de son premier gouvernement en 2015, avant de s?en décharger quelques mois plus tard. À ses côtés, le colonel-major Aimé Barthélemy Simporé a été nommé ministre délégué, chargé de la Défense nationale.
L?État pris entre deux logiques contradictoires
« Plus qu?un jeu de chaises musicales au sein du gouvernement, ce sont des mesures fortes, des actions concrètes sur le terrain que les Burkinabè attendent », estime l?analyste politique Drissa Traoré à l?AFP, qui ajoute : « Ce changement s?est fait sans conviction, il a fallu les mouvements d?humeur des populations et l?entrée en scène de l?opposition pour que le président procède à un remaniement du gouvernement dont l?efficacité laisse dubitatif. »
Le Premier ministre Christophe Dabiré a répondu qu'« aujourd?hui, notre peuple a besoin d?aller de façon unie contre le terrorisme et il ne faut pas qu?on se trompe d?ennemis ». « L?attaque de Solhan a servi de détonateur parce que cela a permis de mettre en évidence un certain nombre de dysfonctionnements au niveau de notre dispositif de défense et de sécurité », a-t-il reconnu. « C?est pourquoi le président Kaboré a repris les rênes du ministère de la Défense nationale [?] pour pouvoir procéder à une réorganisation interne de l?ensemble de nos structures chargées de la défense et de la sécurité. »
Il veut croire que cette décision « extrêmement importante » permettra au chef de l?État « de renouer avec le peuple et de recréer la confiance indispensable pour assurer la sécurité des personnes et des biens ».
Sur le plan de la justice, il y a eu quelques avancées, notamment deux djihadistes présumés, dont le « chef d?une base terroriste », accusés d?avoir joué un rôle clé dans l?attaque du village de Solhan, qui ont été mis en examen pour « terrorisme », a-t-on appris de source judiciaire. « Après l?attaque terroriste perpétrée à Solhan, une enquête [?] a abouti à la présentation le 25 juin à la section antiterroriste de notre parquet de deux individus : Mano Tidjani alias Ali et Woba Dikouré », indique un communiqué d?Émile Zerbo, procureur du Burkina. « L?enquête démontre » que cette attaque « a été décidée le 21 mai [?] dans l?objectif de piller des biens, le pillage étant la principale source de financement du groupe auquel appartiennent les deux mis en examen », selon le procureur. Il a confirmé que les deux djihadistes présumés sont membres d?une composante du Groupe de soutien à l?islam et aux musulmans (GSIM), affilié à Al-Qaïda, qui sévit dans plusieurs pays du Sahel.
Et selon Christophe Dabiré, « les agitations politiciennes ont leur place dans le jeu démocratique de notre pays, mais quand le pays est en danger, il faut qu?on sache raison garder, se donner la main pour combattre l?ennemi ».
Spirale de violences
Un message loin d?avoir convaincu. « Aujourd?hui, de Dori à Kampti, de Dedougou à Diebougou, de Ouagadougou à Diapaga, les populations ont manifesté pour protester contre l?aggravation de la situation sécuritaire », a déclaré le chef de file de l?opposition, Eddie Komboïgo, se réjouissant, samedi, d?une « mobilisation gigantesque à travers le pays malgré les appels au boycott par le pouvoir ».
Des manifestations ont également eu lieu à Bobo-Dioulasso (Ouest), deuxième ville du pays, mais aussi à Ouahigouya, chef-lieu de la région du Nord, à Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord et à Fada N'Gourma, chef-lieu de la région de l?Est, ces trois dernières régions étant parmi les plus frappées par les djihadistes. Le Burkina Faso est confronté depuis 2015 à des attaques de plus en plus fréquentes et meurtrières de formations djihadistes, dont le Groupe de soutien à l?islam et aux musulmans (affilié à Al-Qaïda) et le groupe État islamique au Grand Sahara (EIGS).
Interrogé au téléphone par l?AFP, un manifestant de la commune de Madjoari, dans l?est du Burkina, a dit marcher « pour que les nombreux déplacés puissent retourner dans leur localité d?origine et vivre paisiblement ». « Ça fait plus d?un an que cette commune est sous blocus des groupes armés, personne ne peut y entrer ou en sortir. La vie y est devenue chère et nous ne voyons aucun espoir venir des autorités », a-t-il ajouté. Depuis 2015, les attaques au Burkina Faso ont fait environ 1 500 morts et contraint près de 1,5 million de personnes à fuir leurs foyers.
Le Point Afrique