Société

Reportage/À 4 jours de la rentrée scolaire 2022-2023: Des choses louches se passent dans des écoles publiques

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Une image de la seule école où l’on n’a réclamé ni argent ni table-banc au parent d’élève. (Photo : AN)
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Les élèves reprendront le chemin de l’école le lundi 12 septembre 2022. À quelques jours de la rentrée scolaire, il se passe des choses louches et inadmissibles dans les écoles primaires publiques. C’est du moins, le constat fait par L’avenir dans certains établissements.

À une semaine de la rentrée scolaire, les écoles primaires publiques ont commencé à accueillir les enfants pour les inscriptions au CP1. Mais aussi d’autres enfants admis en classe supérieure, auxquels les parents désirent faire changer d’école. Afin d’inscrire son fils, admis au CP2, dans une école de Cocody où il vient de d’aménager, A.K a fait le tour de cinq écoles primaires publiques. Ce qu’il a découvert et les informations qu’il a recueillies auprès de certains responsables d’établissements, sont totalement en déphasage avec la politique de gratuité que prône le gouvernement.  L’avenir l’a suivi dans ses pérégrinations. Le constat est ahurissant : des choses pour le moins insolites, sont demandées aux parents d’élèves.

 

 

L’inscription est gratuite, mais le table-blanc est payant !

 

 

Nous sommes à la dernière semaine du mois d’août. Ce vendredi 26 août 2022, ayant bénéficié d’une permission de sa hiérarchie, A.K décide de faire les courses pour l’inscription de son môme. Il se rend au groupe scolaire d’Anono, non loin du marché. Ce matin-là, quelques membres du personnel sont assis sur des tables-bancs. « Je suis venu m’informer sur la possibilité d’inscrire mon fils au CP2. Je voudrais l’inscrire ici, parce que je viens d’aménager dans le quartier », explique le parent, après avoir présenté ses civilités. On le réfère à une dame, présentée comme la directrice d’une des cinq écoles que compte le groupe scolaire. Dans le bureau où celle-ci le reçoit quelques minutes plus tard, elle lui explique qu’elle peut bien accepter l’enfant, mais à une condition. « Nous avons un souci de bancs. Si vous pouvez en acheter un, alors, je vais inscrire l’enfant », lui fait-elle savoir. « Savez-vous combien coûte la confection d’un banc ? », lui demande A.K. « Renseignez-vous auprès des menuisiers. Mais je suppose que ça devrait vous revenir à 30 000 FCFA tout au plus. Si vous avez des difficultés pour en faire confectionner, vous pouvez aussi donner l’équivalent en numéraire. Mais l’idéal, c’est que vous veniez avec le banc », lui répond-elle. Quelque peu surpris que l’on lui fasse une telle proposition, alors qu’il est question de gratuité de l’école, le parent d’élève promet de revenir aussi vite que possible.

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Cinq jours plus tard, le revoilà dans le même groupe scolaire pour voir si l’on lui demandera encore de faire fabriquer un table-banc, s’il veut que son fils soit inscrit en classe de CP2 dans l’établissement. Ce matin du jeudi 1er septembre 2022, il est renvoyé vers le directeur d’une autre des cinq écoles que compte le groupe scolaire, par un enseignant donnant des cours de vacances. « Je suis venu inscrire mon enfant en classe de CP2 », informe A.K une fois dans le bureau du directeur. « L’école est gratuite, comme vous le savez. Venez donc avec le dossier de l’enfant dès la semaine prochaine », répond son vis-à-vis. « Mais, y a-t-il quelque chose à payer ? », s’enquiert le parent. « L’école est gratuite, comme vous savez. Mais, nous sommes confrontés à un problème de banc. Le COGES (Comité de gestion, mis en place pour faciliter la cogestion des écoles publiques avec les parents d’élèves, Ndlr) pourrait vous demander plus tard de donner une participation pour acheter des bancs », lâche le directeur. A. K se retire en promettant une fois encore, de revenir la semaine suivante.

 

 

Gratuité d’accord, mais il faut payer 40 000 ou 50 000F !

 

 

Le même jour, il file au groupe scolaire de la Riviera Golf. À cette heure de la matinée, des enfants papotent dans la cour de l’école. Un monsieur qu’il approche, l’oriente vers le bureau de la directrice. « Je suis venu m’informer sur les conditions pour inscrire mon fils au CP2 ici », lui dit-il. « L’école est gratuite. Mais vous voyez vous-même dans quel état est l’établissement, nous avons besoin de faire quelques travaux pour le remettre en état. Je vais donc vous demander de venir avec son dossier, plus 40 000 F CFA », explique-t-elle la nécessité pour le parent de devoir mettre la main à la poche, s’il veut inscrire son enfant dans cette école. Ici encore, A. K fait mine de comprendre la situation et promet de revenir donner une réponse à son interlocutrice.

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Une vingtaine de minutes plus tard, le voilà au groupe scolaire de Cocody Est, dans les environs de ‘‘l’Allocodrome’’ de Cocody. La cour est silencieuse ; les classes fermées, à l’exception d’une seule : celle où se trouve un directeur de l’une des écoles composant ce groupe scolaire. Après avoir frappé à la porte, A.K est invité à s’asseoir. « Je suis venu me renseigner sur les conditions pour inscrire mon fils au CP2 ici », lui fait-il savoir. En réponse à sa préoccupation, son interlocuteur lui explique qu’il n’y aura pas de classe de CP2 cette année dans son école, en raison de l’insuffisance d’enseignants. « Cette année, on n’aura qu’une classe de CPU. Ce sont des enfants sélectionnés parmi ceux venant de la maternelle et qui sont admis au CP1. Ce sont ceux qui ont eu les meilleurs résultats à l’issue d’un test. Ils vont cumuler les classes de CP1 et CP2 cette année et en fonction de leurs résultats de fin d’année. Certains seront admis au CP2 et d’autres directement au CE1. Comme ils viennent de notre école maternelle, ils paient 10 000 F CFA pour leur inscription. Je peux tout au plus intégrer votre fils dans ce groupe ou bien vous pouvez voir si une autre école du groupe scolaire peut l’accepter. Sinon, vous venez avec son dossier, plus 50 000 FCFA », explique-t-il longuement. Intrigué qu’on lui parle encore d’argent pour une école supposée être gratuite, le parent d’élève prend congé de son interlocuteur avec la promesse de revenir.

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Direction : une école primaire publique de Blokhauss. Ce village compte deux écoles primaires publiques, situées de part et d’autre de la voie passant devant le cimetière. Dans la première où A.K se dirige, aux alentours de 11h30, il s’entend dire par le directeur, occupé à remplir des papiers, qu’il ne pourra pas accueillir son enfant en classe de CP2. « J’aurais bien voulu, mais j’ai déjà 100 enfants inscrits au CP2. Si je vais au-delà, ils seront obligés de s’asseoir à 3 sur chaque table-banc. Sans compter que ça ne va pas faciliter la tâche à l’enseignant. Désolé, monsieur », avance le directeur. Et de conseiller au parent d’élève de s’adresser à l’école d’à-côté.

 

 

Cotisations des COGES supprimées, mais ici on cotise…

 

 

Suivant son conseil, A.K franchit la route séparant les deux écoles pour se retrouver dans l’établissement voisin. Le contraste est saisissant : l’aspect de la cour est moins reluisant que dans la première école. La directrice qui le reçoit, dit être disposée à inscrire l’enfant au CP2. « Mais il va falloir que vous nous envoyiez un banc. Les salles de classe sont grandes, mais il n’y a pas assez de bancs. Ce n’est vraiment pas commode que les enfants soient assis à trois sur un banc. J’avais fait une demande de bancs l’année dernière, je n’en ai pas reçu. Voyez donc si vous pouvez envoyer un banc et je vais l’inscrire », explique-t-elle.

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Et de se désoler que certains acquis pour lesquels elle avait dû solliciter la mairie de Cocody, aient été détruits par des intrus, qui profitent du mur peu élevé pour s’infiltrer dans l’école. « Pendant les vacances, des enfants se sont introduits dans la cour et ont abîmé tous les robinets que nous avons installés, grâce à un partenaire, pour permettre aux enfants d’avoir accès à de l’eau potable. Ils sont allés jusqu’à casser une partie des carreaux. En plus, deux des brasseurs que nous avons installés, grâce à un autre partenaire, ont été volés. C’est pourquoi, j’envisage de surélever le mur de l’école pour éviter que les intrus y accèdent facilement. Je vais devoir solliciter le concours financier des parents pour réaliser ces travaux, vu que les COGES n’existent plus », dénonce la directrice. Un plaidoyer auquel reste globalement sensible A.K, même s’il s’étonne que l’on lui répète de faire confectionner un banc pour l’école, s’il veut que son fils ait une chance d’y être inscrit. Il quitte les lieux avec la même promesse de revenir.

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De retour de Blokhauss, il lui vient à l’esprit de passer au groupe scolaire Château d’eau de Cocody, situé dans le sous-quartier en face de ‘‘l’Allocodrome’’ de Cocody. Ce même jeudi, Il est presque midi quand il franchit le portail d’entrée. Le gardien rencontré à l’entrée, lui indique le bureau de l’un des deux directeurs de l’école présent à cette heure de la journée. Invité à y entrer après quelques minutes, il tombe sur des échanges entre le directeur et une dame, venue inscrire sa fille au CM2. Celle-ci explique que l’adolescente a fait le CM1 l’année dernière. Mais, pour en avoir le cœur net, l’enseignant la soumet à un petit test en lui demandant de lire un texte tiré d’un livre de CP2. La jeune fille n’y parvient pas. « Je ne peux pas l’inscrire au CM2. Si je devais l’accepter ici, elle va devoir faire le CP2 ou le CE1 tout au plus », tranche le directeur. Et la dame de rabouiller la fillette, dont les insuffisances criantes lui sont ainsi jetées au visage.

Quand A.K prend la parole pour expliquer le sens de sa présence en ce lieu, le directeur lui répond : « Envoyez-moi son dossier aussi vite que possible. Il n’y a rien à payer, l’école est gratuite ». Enfin, un interlocuteur qui ne réclame ni argent ni table-banc, avant d’inscrire son enfant au CP2 ! Il se dit qu’il pourrait bien y inscrire son fils. Mais avant, il compte s’assurer de l’état des toilettes de l’école.

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