Politique

Interview / Magloire N’Dehi, Chef de Bureau de la Fondation Friedrich Naumann en Côte d’Ivoire

interview-magloire-ndehi-chef-de-bureau-de-la-fondation-friedrich-naumann-en-cote-divoire
Magloire N’Dehi, Chef de Bureau de la Fondation Friedrich Naumann en Côte d’Ivoire. (Ph : DR)
PARTAGEZ
Le jeudi 25 avril dernier, la Fondation Friedrich Naumann a remis les certificats de fin de formation à 150 auditeurs de son programme « Politic Lab », après un parcours de neuf ans (2016-2023). Cette cérémonie de graduation était présidée par le ministre Mamadou Touré, Ministre de la Promotion de la Jeunesse, du Service Civique et de l'Insertion Professionnelle.

Magloire N'Déhi, vous êtes le chef de bureau de la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté en Côte d’Ivoire. Vous venez de délivrer des certificats à des auditeurs dans le cadre d’un programme appelé Politic Lab. Pouvez-vous nous expliquer ce que c'est ?
Le programme "Politic Lab" est une initiative de formation destinée à des jeunes issus de partis politiques et de la société civile, âgés de 18 à 40 ans. Ce programme vise à sélectionner des participants représentant les principaux partis politiques tels que le PDCI-RDA, le RHDP, le FPI, le PPA-CI, le COJEP, ainsi que d'importantes organisations de la société civile de Côte d'Ivoire, que nous considérons comme des acteurs clés de la scène politique. Une fois identifiés, ces jeunes sont intégrés dans un programme de formation qui les instruit sur les fondements de la politique, les exigences de l'engagement politique et les principes de la démocratie, leur fournissant ainsi un cadre théorique essentiel à la compréhension de leur domaine d'engagement. En plus de l'enseignement théorique, le programme les accompagne dans la génération de nouvelles idées susceptibles d'améliorer des secteurs clés tels que la santé, l'éducation et les institutions. Ainsi, "Politic Lab" combine théorie et approches pratiques pour mieux préparer les jeunes à mieux appréhender la politique et à contribuer efficacement à l'amélioration de la gouvernance.

 

Combien d’auditeurs ont reçu leurs certificats ?

Initialement, nous avons sélectionné environ 250 personnes pour participer à notre programme. Toutefois, en raison de son caractère exigeant, incluant des tests, des travaux dirigés et des exercices destinés à évaluer la motivation et l'intérêt des participants, nous avons dû réduire ce nombre. Cette évaluation rigoureuse nous a permis de distinguer ceux qui se sont réellement investis dans le programme, résultant en l'élimination d'une centaine de personnes. Ainsi, entre 2016 et 2023, seuls 150 participants ont finalement mérité leur certificat.

Par exemple, sous la première génération dirigée par Houphouët-Boigny, le pays était également gouverné par des jeunes âgés de 27 à 38 ans. 

Vous parlez de synergie entre les jeunes et un changement générationnel. Pensez-vous qu'il est temps pour les anciens de la scène politique de céder leur place à la jeune génération ?

Lorsque nous examinons l'histoire politique de la Côte d'Ivoire, nous constatons que les cycles de génération durent généralement environ 15 ans. Ce que nous observons, c'est l'absence de ruptures nettes entre les générations. Par exemple, sous la première génération dirigée par Houphouët-Boigny, le pays était également gouverné par des jeunes âgés de 27 à 38 ans. Cela illustre comment un mélange de générations peut contribuer efficacement au progrès national.

Aujourd'hui, nous plaidons pour une approche de gouvernance qui intègre toutes les générations. Actuellement, de nombreux jeunes possédant compétences et savoirs sont prêts à contribuer. Travailler en synergie, en évitant les ruptures générationnelles, est essentiel pour le développement continu de l'État. L'intégration des jeunes dans les sphères de gouvernance leur permet non seulement d'apprendre et de s'immerger dans les rouages de l'État, mais aussi de se préparer à prendre le relais efficacement.

Nous encourageons un dialogue intergénérationnel parmi les acteurs politiques de différentes générations. En tant que représentants de la cinquième génération, les jeunes âgés de 30 à 45 ans doivent s'engager activement dans l'apprentissage et la préparation au leadership. En effet, dans cinq à dix ans, ils seront aux commandes. S'ils ne sont pas correctement préparés, cela pourrait entraîner une déconnexion avec l'exercice du pouvoir, ce qui représente un risque pour la stabilité et l'efficacité de la gouvernance nationale.

 Le contenu de notre formation est diversifié et structuré en quatre modules principaux.

Quels sont les rudiments et les formations que vous dispensez aux participants de ce programme ?

Le contenu de notre formation est diversifié et structuré en quatre modules principaux.

Le premier module porte sur les concepts fondamentaux de la science politique. Il aborde des questions telles que la nature de l'État, la démocratie, les idéologies, la définition d'un parti politique et le rôle de la société civile. Ce module explore également les interactions entre ces acteurs au sein de l'espace démocratique.

Le deuxième module est dédié au droit constitutionnel. Il est essentiel pour les jeunes de comprendre la Constitution et le processus législatif, afin de garantir une gouvernance ordonnée et respectueuse des règles établies.

Le troisième module concerne l'économie et les questions sociales. Les participants apprennent les fondements de l'économie, les différentes théories économiques, les mécanismes de croissance, l'importance de l'entreprise et la création d'un environnement favorable à la génération de richesse. Il aborde également les stratégies de redistribution de cette richesse.

Enfin, le quatrième module se concentre sur les compétences de communication et de leadership pour les acteurs politiques. Il inclut l'art oratoire, la rhétorique, le branding personnel, ainsi que les comportements appropriés et inappropriés dans les espaces publics.

Ces quatre modules avec une vingtaine de sous-thèmes constituent la base de notre programme de formation, visant à développer chez les jeunes une meilleure compréhension et des compétences pratiques essentielles pour leur future carrière politique.

Nous présentons aux participants un large éventail d'idéologies

Vous recrutez des jeunes issus de différents courants politiques. N'y a-t-il pas un objectif caché derrière ces formations, tel que celui d'amener ces jeunes à adhérer à l'idéologie libérale ?
Bien que la Fondation Friedrich Naumann soit orientée vers les valeurs libérales, nous nous efforçons de diversifier les formations offertes. Nous présentons aux participants un large éventail d'idéologies, leur permettant ainsi de développer leur propre jugement. Bien sûr, nous soulignons les avantages d'une société libérale qui pour nous est la seule capable d’apporter le progrès et la paix, mais nous exposons également une variété d'autres courants de pensée. Cette approche est essentielle car la diversité est au cœur de la démocratie libérale. Sans diversité, nous risquons de basculer vers des formes de gouvernement plus autoritaires, telles que la monocratie ou l'autocratie.

Nous valorisons cette diversité en intégrant des jeunes issus de différents partis politiques et de la société civile, encouragés à collaborer et à comprendre l'importance du travail conjoint. Au cours du programme biennal, ils apprennent à se connaître, à accepter les différences et à cohabiter, ce qui favorise une émulation saine au sein du groupe. Nous croyons que ces expériences partagées—vivre ensemble, manger ensemble, et même dormir ensemble—réduisent les oppositions radicales et favorisent une approche plus collaborative du pouvoir. Cette familiarité peut diminuer les conflits futurs, car les participants reconnaissent que même leurs adversaires politiques ont partagé des moments significatifs avec eux.


Ces jeunes qui ont été formés selon un modèle spécifique, quels bénéfices concrets cette formation va-t-elle leur apporter sur le terrain ?

La formation que nous proposons apporte trois avantages majeurs aux participants.

Premièrement, elle enrichit leurs connaissances. Comprendre les concepts fondamentaux tels que l'État, la société civile, un parti politique et le libéralisme, permet de mieux orienter leurs actions. Auparavant, ces connaissances pouvaient être acquises de manière désorganisée, mais aujourd'hui, elles sont structurées et systématiquement abordées, ce qui est important pour tout leader politique. Nous admirons souvent la manière dont les leaders politiques occidentaux s'expriment avec assurance, car ils maîtrisent bien leurs sujets.

Notre formation, complétée par un accompagnement personnalisé, aide ceux qui aspirent à des postes électifs à mieux organiser leurs campagnes. 

Deuxièmement, la formation structure leur engagement. Certains participants, bien qu'actifs dans des partis politiques, ou des organisations de la société civile se limitent à des tâches subalternes sans reconnaître le potentiel de leur propre engagement. Notre formation, complétée par un accompagnement personnalisé, aide ceux qui aspirent à des postes électifs à mieux organiser leurs campagnes. Elle transforme également leur engagement amateur en compétence professionnelle, rendant leur participation plus substantielle et stratégique.

Troisièmement, cette formation a un impact professionnel direct. Aujourd'hui, 90 % de nos participants occupent des postes à responsabilité. Certains ont été nommés chefs de cabinet, tandis que d'autres travaillent au sein de cabinets ministériels. Ces compétences ne sont pas enseignées dans les cursus traditionnels mais sont développées à travers notre programme, permettant aux participants de valoriser leur savoir-faire sur le marché professionnel. Nous sommes fiers de constater que la majorité de nos participants ont non seulement trouvé un emploi, mais ont également accédé à des positions influentes au sein d'institutions gouvernementales et politiques.

En somme, la formation contribue significativement au renforcement des capacités professionnelles des participants, leur permettant de mieux servir l'État et, potentiellement, de soutenir efficacement des projets politiques. Cela démontre que la compétence est essentielle à la pratique de la politique et à l'amélioration des institutions.


Cette formation contribue-t-elle également à lutter contre le populisme, qui est l'un des combats majeurs de la fondation ?
Oui, ce programme a joué un rôle crucial en aidant les participants à comprendre qu'il est contreproductif de passer son temps à stigmatiser autrui en les catégorisant en "méchants". Cette approche, typique du populisme, constitue un danger pour notre société. Nous enseignons dans le cadre de la formation que l'essentiel est de développer ses propres idées tout en respectant les différences, permettant ainsi à chacun de présenter sa vision sans stigmatiser systématiquement les autres ou inciter à la confrontation.

De nombreux participants, initialement radicaux ou enclins à des jugements excessifs, ont appris à nuancer leurs propos et à mieux structurer leurs pensées. Ils ont compris que c'est à travers le dialogue, la discussion et le débat démocratique que l'on peut faire valoir ses idées, et non par le rejet des autres. Ce changement de perspective est essentiel pour créer un environnement démocratique où chacun peut exprimer ses idées et ses nuances de manière constructive.

Notre objectif est que, à l'horizon 2025, nous ayons des jeunes aptes à enrichir les institutions de la Côte d'Ivoire

2025, c’est dans quelques mois. Quel message souhaitez-vous transmettre à ces jeunes que vous préparez à entrer sur la scène politique ?
Notre objectif est que, à l'horizon 2025, nous ayons des jeunes aptes à enrichir les institutions de la Côte d'Ivoire, les partis politiques et la société civile avec leurs compétences et des idées innovantes pour faire progresser le pays dans le bon sens. Après neuf années d'efforts, nous abordons notre dixième année avec l'espoir que ces jeunes contribuent activement dans divers domaines, notamment au sein des équipes de campagne ou à des postes clés dans la gestion de l'État.

À l'approche de 2025, nous encourageons les jeunes à êtres des catalyseurs du changement. Nous les encourageons à utiliser les compétences et les connaissances acquises à travers notre formation pour influencer positivement vos communautés et promouvoir l'innovation politique et proposés de nouvelles idées de développement. Nous leur disons qu’il est essentiel pour eux de se positionner non seulement comme des leaders, mais aussi comme des exemples de la nouvelle génération d’acteurs politiques capables de transformer les défis en opportunités pour un avenir meilleur.

Nous encourageons les partis politiques et les organisations de la société civile à tirer pleinement parti de ces jeunes talents. Ils sont prêts à participer à des débats sur des plateaux de télévision, à discuter et à promouvoir des projets qui pourraient faire progresser la démocratie et la société dans son ensemble.

Nous lançons donc un appel à toutes les institutions, à tous les partis politiques et à toute la société civile : voici 150 jeunes compétents, prêts à apporter à la Côte d'Ivoire de nouvelles idées et une nouvelle façon de concevoir la politique. Nous croyons fermement que l'émergence de nouveaux acteurs politiques formés et éclairés peut contribuer à réduire la violence dans la vie politique du pays.

Nous envisageons de suivre le rythme normal des générations

Ce programme va-t-il s’arrêter à la fin de ce processus ?

Non, le programme ne s'arrête pas avec la fin de ce cycle. Effectivement, pour cette génération, cela représente une décennie de formation et d'engagement. Après cela, ces jeunes investiront l'espace politique. Cependant, nous prévoyons de lancer un nouveau cycle avec de nouvelles générations dès l'année prochaine. La formation dure deux ans, ce qui nous permettra de former cinq promotions sur la durée du cycle de 10 ans.

Nous envisageons de suivre le rythme normal des générations, soit environ tous les 10 à 15 ans, pour injecter continuellement du sang neuf et rafraîchir la scène politique. Ce renouvellement régulier est essentiel pour maintenir une dynamique vivante et adaptée aux évolutions de notre société.

 

Interview réalisée par Bema Bakayoko

 

 

Newsletter
Inscrivez-vous à notre lettre d'information

Inscrivez-vous et recevez chaque jour via email, nos actuaités à ne pas manquer !

Veuillez activer le javascript sur cette page pour pouvoir valider le formulaire