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Interview/Arthur Banga (expert)« Il n’y a pas encore de recrutement pur ivoirien »

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Une Académie internationale de lutte contre le terrorisme bâtie à Jacqueville et inaugurée en plein contexte d'attaques djihadistes.  Faut-il s’en inquiéter ou en être fier ? Arthur Banga, Docteur en relations internationales et en histoire des stratégies militaires, Enseignant-chercheur à l’université Félix Houphouët-Boigny à Abidjan, explique.

 

Qu’est-ce qu’une Académie de ce type ?

Une académie de cette trempe peut être définie comme un centre de formations et de réflexions. Il y est prévu ces formations pour les cadres qui sont concernés par les questions de défense et du terrorisme. Elle pourrait concerner aussi plusieurs ministères notamment la Justice, l’Intérieur, la Sécurité et la Défense. Des formations pour les militaires spécialisés dans la lutte contre le terrorisme, ainsi que celles qui peuvent porter sur des réflexions stratégiques. Cette académie est donc un mélange qui aborde le terrorisme dans sa forme globale, notamment théorique et empirique.

 

Quelles sont les formations qui y seront dispensées ?

Il y a deux grands types de formations dans une telle académie. Des formations de l’école de cadres. Ce sont des formations pour les managers qui, par leurs activités, seront liés au terrorisme. Le deuxième type de formation va concerner les unités de l’armée, de la gendarmerie et de la police engagées dans la lutte contre le terrorisme. Ces unités auront des centres adaptés pour pouvoir se mettre dans les conditions les plus proches de la réalité. Il y aura également des formations académiques composées de réflexion et de production intellectuelle.

 

Sur quelle base, les auditeurs seront-ils recrutés ?

Évidemment, le recrutement des auditeurs sera fait par appel ouvert avec des candidatures. Il y aura également le format diplomatique, c’est-à-dire en passant par des relations bilatérales ou par des organisations internationales.

 

Que gagne la Côte d’Ivoire à abriter une telle académie ?

Le label Côte d’Ivoire en matière de terrorisme est un label international. Le fait d’abriter l’académie internationale va faire que nous aurons des places dans pratiquement tous les stages du monde, en matière militaire. Un stagiaire ivoirien va forcément coûter moins cher qu’un stagiaire qui viendra du Kenya ou d’un autre pays africain.

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Certaines personnes sont inquiètes, elles pensent à tort ou à raison qu’une telle école risquerait d’exposer la Côte d’Ivoire au terrorisme. Leur inquiétude se justifie-t-elle ?

Pas du tout, les terroristes n’ont pas attendu l’école pour attaquer la Côte d’Ivoire en 2016. D’ailleurs, le Mali et le Burkina Faso qui sont très souvent attaqués par les terroristes, n’ont pas cette académie-là chez eux. Cette académie nous permet d’anticiper. De toutes les façons, la Côte d’Ivoire est déjà dans l’œil du cyclone.

 

De façon concrète, la Côte d’Ivoire pourra-t-elle venir à bout du terrorisme sur son propre sol, avec cette académie installée sur son sol ?

La Côte d’Ivoire se donne les moyens pour arriver à vaincre le terrorisme. Parmi ces moyens, il y a l’académie. Elle va permettre d’aborder la question dans toute sa globalité pour ne pas rester que sur l’aspect militaire de la question. Il y a d’autres aspects liés au terrorisme, notamment le social, la justice et l’aspect territorial. Cet institut va permettre à nos outils de défense de progresser, à nos scientifiques de pouvoir analyser des doctrines de la menace terroriste. Il est donc clair que la Côte d’Ivoire se prépare et dans le package des moyens de préparation, il y a cette académie.

 

Finalement, de quoi se nourrit exactement le terrorisme ?

Le terrorisme se nourrit de convictions extrémistes religieuses. D’abord, il faut qu’il y ait des gens qui soient convaincus par le discours et l’idéologie du terrorisme. Dans un premier temps, il y a des gens qui sont fondamentalement extrémistes dans leur façon de comprendre les choses. Le deuxième noyau est celui qui va être séduit par le discours. Il faut noter qu’à côté de ce discours, les groupes vont apporter des réponses à leurs questions sociales. Ils pourront donc exploiter les frustrations sociales, ethniques et religieuses. Ce groupe va se convertir et devenir radical.

 

Un récent rapport sur le terrorisme pointe une radicalisation d’une frange de la population dans la région du Boukani. Faut-il s’en inquiéter ?

Pour l’instant, nous avons de notre côté, mené des enquêtes de terrain à la fin de l’année 2020. Et, pour l’instant, nous pouvons affirmer qu’il n’y a pas encore de recrutement pur ivoirien. Après, il y a des facteurs et des signaux de radicalisation. Il faut s’en inquiéter, parce que ces signaux et ces facteurs peuvent se convertir plus tard en radicaux et en main-d’œuvre pour les groupes terroristes. Il faut donc apporter des réponses à ces facteurs et ces signaux, notamment la lutte contre la pauvreté, une plus grande présence de l’État et la lutte contre les injustices sociales dans les zones à risque.

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Le même rapport fait état de ce que la pauvreté est à 72% à l’origine du terrorisme. Comment expliquez-vous ce rapport entre pauvreté et djihadisme ?

Lorsque quelqu’un n’a pas d’emploi et qu’on lui propose un ‘’emploi’’, lorsque quelqu’un n’a pas d’issues, on peut lui vendre des rêves et cela peut favoriser sa radicalisation. Tous ces problèmes cités peuvent favoriser la radicalisation des individus. Quand il n’y a pas d’infrastructures de bases et que les terroristes arrivent à les apporter, quand il n’y a pas de justice et qu’ils arrivent à la ramener, quand il n’y a pas de sécurité et que ces gens la ramènent, accompagnée d’une relative richesse, ils peuvent être portés en triomphe naturellement.

 

Il revient, dans le même rapport que des individus suspects rodent dans le parc national de la Comoé. La Côte d’Ivoire devrait-elle s’en inquiéter ?

A l’analyse des dernières attaques, on peut sans doute dire que l’objectif de cette vague d’attaques pour les terroristes, est de s’installer dans le parc de la Comoé. Ce site leur permettra d’avoir une base à partir de laquelle, ils pourront mener plus facilement des opérations. C’est une stratégie pour eux et il faut s’en inquiéter. S’ils arrivent à occuper ce site, ce sera difficile de les y déloger.

Ossama Roxane 

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