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Interview / Dr Dieth Alexis (professeur de philosophie) : « Gbagbo n’a que le populisme à offrir aux jeunes »

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Profitant de sa participation au forum organisé par l’Institut de formation politique Amadou Gon Coulibaly, le professeur de philosophie à l’université René Descartes de Poitiers (France) Dr Dieth Alexis, a bien voulu répondre aux questions se rapportant à l’actualité politique ivoirienne. Il assène des vérités à l’endroit de certains leaders de la classe politique ivoirienne.

Vous êtes présents en Côte d’Ivoire dans le cadre du forum organisé par l’Institut de formation politique Amadou Gon Coulibaly sur la thématique « Jeunesse et menaces d’instabilité en Afrique ». Globalement, quel est votre regard sur ce thème ?

C’est un thème d’actualité parce les populistes sont en train de monter dans le monde. L’Afrique n’est pas épargné par ce phénomène qui provient du fait de la globalisation de l’économie. Avec la globalisation, les économies sont devenues transnationales, alors que les institutions et les cultures sont restées nationales. Il y a donc un gap, qui produit un affrontement entre les identités et l’économie, qui est devenue transnationale. Les cultures se sentent alors agressées par une économie devenue transnationale. Alors les nationalistes identitaires montent pour proposer des solutions simplistes à des problèmes complexes.

 

Comment expliquer alors que les populistes puissent prospérer notamment en Afrique ?

Les populistes prospèrent notamment en Afrique parce que les Etats souffrent d’un déficit d’intégration nationale. Ce déficit d’intégration nationale met aux prises les identités ethniques et l’économie globalisée. C’est sur ce terreau fertile que prospèrent des acteurs politiques, qui proposent aux populations des solutions simplistes en instrumentalisant les identités ethniques dans une logique de pouvoir. C’est précisément sur cette base de déficit de l’intégration nationale qui accentue les problèmes existentiels des populations face à une économie globalisée, que prospèrent les populistes. 

 

Les jeunes semblent les plus manipulés dans ce contexte ?

Les jeunes sont les plus manipulés. Ils constituent la population la plus nombreuse. La globalisation économique provoque une problématique d’intégration professionnelle. Ils sont en situation de précarité professionnelle. Ce qui fait d’eux une clientèle facile à manipuler, à instrumentaliser.

 

Aujourd’hui dans une société hyper connectée, ouverte sur le digital, où tout e monde a accès à l’information, comment le populisme peut-il toujours avoir de beaux jours devant lui ?

Cette facilité de pénétration du populisme et des nationalismes identitaires est tout simplement liée au déficit de culture démocratique. Nous sommes passés des autocraties partis uniques à la démocratie multipartite sans que le passage ait été accompagné par une éducation démocratique. On sait qu’en Afrique, en général les systèmes éducatifs étaient déficients. La rencontre entre ces déficiences des éducations nationales suite à la crise économique qui a conduit les Etats à désinvestir l’éducation et la santé, fait que nous avons une population intellectuellement très fragile, qui a perdu les repères. Et la plupart du temps, ce sont les jeunes qui ont perdu les repères. Ils sont donc aisément manipulables.

 

Que faire alors pour renforcer la résilience de la jeunesse, face à la montée du populisme ? 

Pour renforcer la résilience de la jeunesse face à la montée du populisme, il faut la rééduquer de telle sorte qu’elle s’investisse avec des connaissances et des compétences intellectuelles, un esprit critique pour qu’elle soit une forme de contrepouvoir très critique.

 

Selon vous, les populistes prospèrent à cause de l’intégration mal faite au niveau des Etats. Quelles sont selon votre regard les solutions que l’on pourrait apporter à ce problème ?

Les solutions consistent à mettre en place des politiques de modernisation et d’intégration nationale, de promouvoir une culture de citoyenneté dans la jeunesse, une politique d’intégration nationale des identités ethniques, faire comme Houphouët Boigny l’a toujours fait. C’est d’ailleurs ce que reprend le Président Alassane Ouattara, le digne hériter de Houphouët-Boigny. Il met en pratique une politique de construction nationale, qui intègre les diversités ethniques. Cela ne peut se faire que par la médiation d’une politique d’investissement, d’une politique de redistribution.

 

Sur votre blog, vous êtes critique vis-à-vis de l’ancien président Laurent Gbagbo. Pensez-vous qu’à l’épreuve d’opposition du pouvoir, Laurent Gbagbo continue de surfer sur le populisme ? 

Laurent Gbagbo n’a que cela à offrir à la jeunesse. Il n’a que cela comme programme tout simplement parce qu’il n’a pas compris ce qu’est le socialisme. Le socialisme est fondé sur le principe d’égalité. Il est universaliste, égalitariste. Il ne peut se réaliser sous la forme de la social-démocratie, ou sous la forme d’un radicalisme de gauche qu’à partir d’une conception démocratique de la nation. Laurent Gbagbo considère que les identités ethniques définissent la nation, en conservent les hiérarchies traditionnelles, les inégalités. Le socialisme qui est le sien, ne peut se définir que comme ethno-socialisme. Laurent Gbagbo a une conception ethnique de la nation. Certes, toute nation a une dimension ethnique, mais pour passer de l’ethnie à la nation, il faut dépasser les coutumes, les fidélités coutumières, et concevoir la nation comme une unité de la pluralité.

 

Le populisme consiste à drainer des masses derrière soi. Pensez-vous qu’on puisse raisonnablement faire de la politique sans avoir un brin de populisme ? Comment peut-on mener la politique en drainant la masse sans pour autant tomber dans les travers du populisme ?       

Cela présuppose de considérer la masse comme un peuple démocratique. Le peuple démocratique est une pluralité de catégories socio-professionnelles, qui ont des intérêts, des besoins existentiels spécifiques. Dans ces conditions, faire de la politique en drainant des masses derrière soi sans être populiste, n’est possible que si le politicien se définit comme le représentant d’une catégorie socio-professionnelle déterminée.

 

Pour revenir à l’actualité, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, reconnus comme des personnalités politiques qui drainent du monde, sont revenus en Côte d’Ivoire. Comment entrevoyez-vous l’avenir de Charles Blé Goudé aux côtés de Laurent Gbagbo dans la reconquête des masses populaires en Côte d’Ivoire ?

Pour ce que je constate, le jeune Blé Goudé semble faire acte de contrition. Il est revenu sur ses erreurs. A la différence de Laurent Gbagbo qui ne fait pas acte de contrition et qui ne revient pas sur ses erreurs. Peut-être, y a-t-il là une vertu de la jeunesse qui fait que le jeune est capable de se remettre en question, tandis que le vieillard ne se remet pas en question. Blé Goudé pourrait reconquérir une forme de crédibilité politique, s’il intègre les réquisits fondamentaux de la démocratie qui sont la citoyenneté, le discours citoyen, le discours social, le principe de représentativité sociale des besoins du peuple sur lesquels se fondent la légitimité de l’acteur politique, et s’il considère que le pouvoir n’est légitime que s’il est limité par les droits de l’Homme. Son retour de la Haye et les expériences qu’il a reçues, me semblent lui permettre de révoquer son passé en se remettant en question. Ce qui ne me semble pas possible chez Laurent Gbagbo, qui a toujours été, me semble-t-il depuis le début de son engagement dans la politique, un populiste né. Il n’y a qu’à voir son discours, son rapport au peuple et qui est toujours un rapport à un peuple ethnique. Laurent Gbagbo ne parle pas du peuple ivoirien. Il parle du peuple Akyé, du peuple Bété, du peuple Abbey et non pas du peuple ivoirien. Tandis que Blé Goudé me semble au contraire parler du peuple ivoirien. Nous attendons de Blé Goudé qu’il fasse un acte de repentance et de contrition sincère, qui lui permettent finalement d’incarner une partie du peuple ivoirien parce qu’un parti n’est jamais un représentant de la totalité du peuple.

 

Quid de Simone Ehivet Gbagbo qui ne s’avoue pas vaincue, et qui est entrain de lancer une nouvelle machine politique

Simone Gbagbo me semble ne pas être capable de porter la social-démocratie dont elle se réclame. En témoigne des relents de discours messianiques qu’il me semble découvrir dans son propos. L’une des valeurs fondamentales de la social-démocratie est justement le principe d’égalité, la reconnaissance de la diversité du peuple, la reconnaissance de la légitimité des intérêts particuliers et l’exigence de représenter politiquement ces intérêts particuliers dans un programme d’intégration nationale. Il ne me semble pas découvrir les relents de ce renouvellement politique chez Mme Simone Gbagbo, dont la social-démocratie me parait très suspecte.

 

Nous sommes à quelques années de 2025, d’aucuns estiment qu’on s’achemine vers la finale des « trois grands » à savoir Henri Konan Bédié, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo pour la présidentielle. En tant qu’intellectuel, analyste politique, quelle analyse faites-vous de cet autre combat, s’il a lieu en 2025 ? Pensez-vous que ces trois grands soient toujours bon pour le service 2025 ?

Parmi ces trois, il me semble si je convoque les réquisits de la démocratie et de l’Etat de droit, il y a un seul grand. Le seul grand c’est précisément celui qui, à la tête de l’Etat ivoirien aujourd’hui, parle aux Ivoiriens en tant que citoyen….

 

Est-ce que ce n’est pas trop partisan pour l’intellectuel, le philosophe ?

L’intellectuel doit prendre parti pour la vérité, la démocratie et l’objectivité. Laurent Gbagbo serait un grand, s’il incarnait un socialisme radical, ou un socialisme républicain, ou une social-démocratie. Et si Henri Konan Bédié incarnait tout simplement un conservatisme libéral ou un nationalisme libéral tel que nous l’avons vu avec Félix Houphouët-Boigny, dont il prétend être l’héritier. Sur ce plan, l’enjeu de la présidentielle de 2025 me semble être d’assurer la pérennité de la démocratie, de porter au pouvoir son représentant le plus authentique, le plus crédible, et dont la gouvernance témoigne d’un souci d’intégration nationale, d’égalité, de redistribution, de promotion de la Côte d’Ivoire sur les fonts baptismaux du développement endogène. Il me semble que le bon sens des Ivoiriens a déjà choisi et que le citoyen devrait jouer de manière très crédible, son rôle de contre-pouvoir pour que les élections de 2025 soient des élections apaisées, qui assurent la pérennité de la démocratie et conservent le pouvoir dans les mains de ceux qui peuvent en faire un service public, de la puissance publique, un instrument de promotion des droits de la personne, de satisfaction des besoins les plus fondamentaux des peuples. Je ne conçois l’alternance que sous la forme d’une alternance substantielle, c’est-à-dire une alternance nécessairement programmative et sociétale. Un programme socialiste succède à un programme libéral. Jusqu’à preuve du contraire, il me semble que les Ivoiriens ont en face d’eux un programme libéral à orientation sociale, qui me semble répondre à leurs attentes.

 

D’aucuns parlent de la relève avec les jeunes loups. Au nombre des prétendants, on peut citer Charles Blé Goudé, Guillaume Soro. Est-ce que la jeune garde est suffisamment mature pour prendre la relève au regard de la position dans laquelle le Président Alassane Ouattara a placé le pays ?

 

Je vois sur la scène politique Damana Pickass, Koné Katinan. Ils étaient étudiants lorsque j’étais enseignant en Côte d’Ivoire. J’ai vu les représentants de l’école buissonnière, des casses, du discours populiste. Cela n’a pas changé. Je m’étonne que des jeunes reprennent les veux discours du clivage, de la stigmatisation. Je ne crois pas que cette jeunesse-là soit capable d’assurer une relève. Les cadres dirigeants du PPA-CI ne sont rien de plus que des jeunes grandis, formatés, pour reprendre finalement le discours de clivage, de la confrontation, de la guerre.

 

Qu’en est-il des jeunes des autres partis ?

Je placerai Soro Guillaume, en plus dangereux sur le même plan que Damana Pickass, et Koné Katinan, avec lesquels il partage, me semble-t-il, la même culture belliciste du combat, de la vanité. Au nombre des figures qui ont animé la Fesci, Blé Goudé et quelques-uns me semblent capables de jouer un rôle dans la Côte d’Ivoire du futur, si tant est qu’ils fassent amende honorable, acte de contrition, et qu’ils se réapproprient les valeurs de la démocratie. Pour ce qu’il m’a été donné de constater, la jeunesse du Rhdp me semble sur la bonne voie. Elle pourrait en se réappropriant le logiciel du Rhdp, assurer une alternative.

 

Vous êtes le président fondateur du Think Tank et de l’association Initiative pour la Démocratie et le Développement Endogène en Afrique-Côte d’Ivoire (IDDEA-CI). C’est une structure que vous avez porté sur les fonts baptismaux en France. Quels sont ses objectifs et que comptez-vous en faire aussi bien en France qu’en Côte d’Ivoire votre pays ?

En France dans ma commune, j’ai présenté la Côte d’Ivoire comme un hub expérimental du développement endogène et de la démocratie. J’ai présenté la Côte d’Ivoire comme un terrain d’expérience, qui devrait normalement être un modèle pour l’Afrique de l’ouest parce que la politique d’intégration nationale du Rhdp, par la modernisation économique et par un discours qui rassemble la diversité sur les réquisits de la citoyenneté, est un discours et un modèle qui devraient à mon sens infuser dans toute la sous-région. Je porte ce discours et le regard des Français avec lesquels je suis en contact, se tournent vers la Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire, cette structure est destinée à promouvoir les valeurs et les principes fondamentaux de la culture démocratique. Il s’agit de faire régulièrement des interventions, des séances de formation et d’éducation démocratique pour diffuser dans le tissu social ivoirien les principes de citoyenneté, de représentativités sociales du pouvoir, les principes de limitation de pouvoir par les droits de l’Homme. Cette structure est destinée à animer dans la société civile ivoirienne un pôle de réflexion sur les problématiques fondamentales du pays.                                                                                            

Réalisée par Kra Bernard et Aristide Otré

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