Société

Interview-Production de poisson et de produits maraîchers simultanément/Dr Céline Loba dit tout sur les avantages de l’aquaponie: « C’est une activité génératrice de revenus »

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Enseignante-chercheure à l’Ecole Normale Supérieur (ENS) et présidente des femmes chercheures de Côte d’Ivoire, Céline Sidonie Nobah, épouse Kacou Wodjé, est experte en production de poisson. Mais pas que. Promotrice de l’aquaponie en Côte d’Ivoire, elle a été distinguée « Citoyenne à l’honneur » par le Centre Ivoirien d’Information et de Communication Gouvernementale (CICG). Dans cette interview accordée à L’Avenir, elle nous dit tout sur l’aquaponie.

Qu’est-ce que l’aquaponie ?

L’aquaponie est un système vertueux d’élevage de poisson, qui est associé à l’agriculture hors-sol. C’est un système dans lequel les déjections des poissons, c’est-à-dire les excréments, les restes d’aliments donnés aux poissons, sont utilisées comme nutriments pour faire pousser les plantes. Dans un même système, on a à la fois les poissons et les végétaux qui se développent en harmonie.

Quel est l’avantage de ce système ?

C’est un système qui n’a pas besoin d’engrais pour permettre aux plantes de se développer, ni d’antibiotiques pour favoriser la production des poissons. Dans la pisciculture traditionnelle, on a recours aux antibiotiques pour favoriser la production du poisson. Ce qui est dangereux. En un mot, en aquaponie, les végétaux et poissons se développent de façon naturelle. C’est l’agriculture et la pisciculture de l’avenir, parce qu’elles permettent de faire l’économie des pesticides, des engrais azotés et autres organochlorées, qui contribuent à la dégradation de l’environnement.

Justement, l’aquaponie permet-elle de lutter contre le changement climatique ?

L’aquaponie est de l’agriculture urbaine, elle est de ce fait, proche du consommateur. Grâce au système installé chez soi, l’on produit à la fois du poisson et des légumes, donc l’on n’aura pas à se déplacer pour aller chercher à s’approvisionner en aliments et donc à utiliser du carburant, source de CO2. Par ailleurs, l’exploitation d’un système aquaponique permet d’éviter l’utilisation des pesticides et engrais qui contribuent à la dégradation de l’environnement.

D’où vous vient l’intérêt que vous portez à l’aquaponie ?

Je vous disais tantôt que je suis piscicultrice de formation, puisque j’ai fait un doctorat en hydrobiologie-pisciculture. J’ai fait des recherches en pisciculture sur le talapia au niveau de la Côte d’Ivoire. À la faveur d’un projet de l’Association ivoirienne des sciences agronomiques (AISA), dont je suis membre, il nous a été demandé de faire des recherches sur l’agriculture et la pisciculture intégrées. C’est ainsi que dans mes recherches, j’ai constaté que l’on pratique le système agriculture-pisciculture, appelé aquaponie. On devrait être en 2016-2017. Je me suis rendu compte que l’aquaponie est, en fait, un système pratiqué depuis l’époque des aztèques. Ces Indiens d’Amérique cultivaient des légumes sur des radeaux flottants, qui s’appelaient des chenapans. Les racines des plantes étaient plongées dans l’eau où elles captaient des éléments nutritifs. C’est ce système qui a été développé par les Américains dans les années 70. Ce sont donc les Américains qui ont développé les premiers systèmes aquaponiques. C’est une pratique très développée aux États-Unis, au Canada et en Australie, mais très peu en France et rare en Afrique. Par la suite, il a fallu que je me forme. C’est ainsi que j’ai été à Champagne-Ardenne à Reins en 2019 pour me former auprès de Pierre Harlaut, qui est un passionné d’aquaponie.

En quoi consiste concrètement un système d’aquaponie ?

Le système est composé d’un compartiment aquacole, avec un bassin contenant de l’eau pour les poissons ; et un compartiment végétal, composé de NFT, qui sont des tuyaux dans lesquels on fait des trous où sont plantés des végétaux. Il faut également un autre compartiment constitué de filtres mécaniques et biologiques. Il faut en plus, un système d’irrigation, avec des pompes à oxygène et des pompes à eau pour faire circuler l’eau en circuit fermé. Il faut préciser que l’installation se ferme sous serre.

Combien peut coûter l’installation d’un tel système ?

Le budget est estimé en fonction de votre projet et de votre vision. Il y a donc lieu d’étudier le projet au préalable.

Quel lien y a-t-il entre aquaponie et hydroponie ?

L’hydroponie, c’est l’agriculture hors-sol. On la pratique parfois en utilisant des sacs plastiques remplis de coco, avec un système d’irrigation goutte à goutte, qui va alimenter les produits. Mais dans ce système hors-sol, il faudra mettre de l’engrais, c’est-à-dire le MPK (azote, potassium, phosphore) dans l’eau qui va alimenter les plantes. Quant à l’aquaponie, elle résulte de l’association de l’hydroponie et de l’aquaculture, c’est-à-dire la culture du poisson.

Quels types de produits agricoles et de poissons peut-on cultiver en aquaponie ?

En général, on cultive des légumes comme les choux, la tomate, etc. et des plantes aromatiques comme le basilic, le persil, etc. En ce qui concerne le volet pisciculture de l’aquaponie, il permet de produire des poissons d’eau douce essentiellement, comme le tilapia, le mâchoiron, le silure ou le capitaine. On adapte le dimensionnement du système au rendement escompté.

Quel lien y a-t-il entre vos recherches scientifiques en pisciculture et la pratique de l’aquaponie ?

Il y a bien un lien. Je fais des recherches sur la performance du poisson en pisciculture. Or, il ne peut y avoir d’aquaponie sans compartiment aquacole. Autrement dit, sans élevage de poisson, il y a donc un lien. Je parlais tantôt de filtres mécaniques et biologiques. Ces filtres contiennent des bactéries nitrifiantes très importantes pour le développement des plantes. Celles-ci produisent le nitrate, qui est généralement fabriqué de façon industrielle sous-forme d’engrais. Ce nitrate est nécessaire à la production des plantes. Il y a donc un champ important de recherche qui s’ouvre pour, notamment explorer des thématiques comme la production de ces bactéries en fonction du système et de l’aliment qu’on apporte. Il y a aussi le volet parasitologie.

Que faites-vous pour faire connaître l’aquaponie aux Ivoiriens ?

J’ai créé une plateforme dénommée Aquaponie Richesse. J’ai également créé un site Internet dédié à cela, mais il est malheureusement fermé, faute de temps pour l’animer comme il se doit. J’ai également une équipe de recherche composée de 5 à 8 étudiants. J’ai installé, sur fonds propres, un système-test au sein du vivarium de l’ENS et un autre à l’extérieur du bâtiment, sur un espace à côté. Je salue d’ailleurs, le Directeur Général de l’ENS qui m’a autorisée à installer ces deux systèmes, de même que M. Touré, un opérateur économique, qui a également accepté de m’accompagner. J’ai des offres de formation que je propose à ceux qui sont intéressés par l’aquaponie.

Tout citoyen peut-il s’adonner à cette activité ?

Le système demande très peu d’attention. On peut le visiter deux fois par semaine, car il est autonome et donc, peut tourner par lui-même. Tout citoyen peut donc s’y adonner sans problème, mais avec un minimum de formation basique et pas forcément académique.

L’aquaponie peut-elle être une opportunité d’insertion professionnelle pour les jeunes ivoiriens ?

Bien sûr ! L’aquaponie est un secteur porteur. Aux États-Unis, au Canada, en Australie, c’est une activité économique très rentable. Pourquoi pas en Côte d’Ivoire ? Je pense qu’on peut effectivement encourager nos jeunes à s’y lancer pour en faire une activité génératrice de revenus, notamment la jeunesse féminine. Le fait que ce soit une femme qui est porteuse d’un tel projet, devrait encourager les femmes à s’y engager.

Réalisée par Assane Niada

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